Quelle politique africaine pour l’Europe ?

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2014 a été une année charnière pour la relation Union européenne – Afrique. Le 4e sommet Union Européenne – Afrique a eu lieu en avril pour préparer l’avenir du partenariat entre les deux continents. L’Europe a aussi voté son nouveau budget et ses priorités pour la période 2014-2020. Enfin, l’ensemble des dirigeants européens viennent de changer, notamment la responsable de la diplomatie Catherine Ashton, remplacée par Federica Mogherini, à la tête du Service européen pour l’action extérieure  (SEAE). L’Afrique des Idées a voulu en profiter pour faire le bilan de la politique africaine de l’UE, quatre ans après la mise en place du SEAE et d’une diplomatie européenne en tant que telle.

1 – L’UE trop absente des grandes crises qui ont secoué l’Afrique

Les récents conflits qui ont secoué le continent africain ont montré les difficultés de l’Union européenne à faire entendre sa voix et à réagir à temps dans les contextes de crise. Au Mali ou en Centrafrique, c’est encore la France, seule, qui joue le rôle de premier plan  que lui confèrent sa puissance militaire et l’histoire ”particulière” qui la lie à l’Afrique.

“L’Europe n’a pas de véritable politique sécuritaire, elle n’est que le reflet des politiques nationales”, déplore ainsi Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales (IRIS), “surtout parce que l’Allemagne est très réticente à intervenir dans ce qu’elle appelle le bourbier africain”.

Les dispositifs de préventions et de gestion des conflits de l’Union Africaine, en partie financés par l’UE, comme l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) ont eux aussi montré leurs défaillances. “Quand il faut faire la guerre, il faut réagir tout de suite et c’est souvent la France seule qui y va” reconnaît Yves Gounin, auteur de La France en Afrique, “mais pour autant il y a plusieurs phases dans ce type de crise et il ne faut pas sous estimer le rôle de relais que peut jouer l’Union Européenne ou d’autres organisations internationales après l’intervention militaire rapide, comme on le voit avec les opérations EUTM-Mali au Mali ou EUFOR RCA en Centrafrique” nuance-t-il.

Sur les cinq opérations militaires pilotées par l’Union Européenne, quatre ont lieu sur le continent africain, ce qui montre selon ce diplomate,  que l’Afrique reste malgré tout “une priorité sécuritaire” pour l’Europe. Parmi ces opérations, le principal succès européen est sans doute l’Opération Atalante, engagée en 2008 et qui aura réussi à fédérer plusieurs pays européens dans la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

2 – Une relation économique et commerciale en pleine redéfinition

La relation privilégiée entre l’Afrique et l’UE sur le plan économique et commercial est aussi en pleine redéfinition. Certes l’Europe reste le premier partenaire de l’Afrique et son principal investisseur, mais de nouveaux acteurs ont émergé avec l’essor de la coopération Sud-Sud. La Chine accroît inexorablement sa présence et met en avant ses prêts concessionnaires très avantageux, sans réclamer de progrès sur la voie de la bonne gouvernance comme le fait l’Europe. De plus en plus, l’UE devient un partenaire parmi d’autres.

Les intérêts aussi peuvent diverger. Puisque l’Europe reste parfois dans une logique traditionnelle d’importation de ressources naturelles et de matières premières et d’exportations de ses biens transformés, quand les pays africains, notamment émergents, réclament davantage de financements et de partenariats pour s’industrialiser, mettant en avant la croissance de plus de 5 % sur le continent.

Signe de cette redéfinition de la relation commerciale, les difficultés avec lesquelles ont été conclus les accords de partenariat économiques (APE) qui libéralisent les échanges entre les deux continents. Après d’âpres négociations, ces accords ont finalement été signés pour l’Afrique de l’Ouest. Mais le débat sur les APE a vampirisé pendant de longs mois la relation Afrique-Europe, empêchant d’avancer sur d’autres domaines de la coopération. Et la résistance des dirigeants africains a montré leur volonté de rééquilibrer la relation, en dénonçant les contradictions des Européens, notamment sur le plan agricole où l’UE subventionne ses exportations avec la Politique agricole commune (PAC), tout en affichant son soutien au développement de l’agriculture locale à travers les Fonds européens de développement (FED).

3 – Une diplomatie en apprentissage

La diplomatie européenne, dans sa dimension politique, est encore jeune puisque le SEAE est en place officiellement depuis 2010, à la suite du Traité de Lisbonne de 2007. Les délégations européennes sont désormais présentes dans la quasi totalité des États africains à l’exception de Sao Tomé, la Guinée équatoriale, ou le Soudan du Sud.

Les fonctionnaires européens, avant le Traité, travaillaient principalement sur les questions de développement. Ils ont depuis un nouveau portefeuille, beaucoup plus large et politique avec lequel ils doivent apprendre à composer. Pour les ambassades nationales traditionnelles françaises, britanniques ou allemandes… c’est aussi un nouvel acteur avec lequel il faut coordonner son action. “Cela prend du temps”, sourit le diplomate Yves Gounin, “mais c’est en train de se mettre en place avec le renouvellement des générations  et parce que des diplomates venus des Ministère des Affaires étrangères nationaux, dont des Français, prennent la tête de délégations européennes et comprennent mieux leur logique. Du côté des dirigeants africains, les représentants européens sont de plus en plus considérés, parce qu’ils ont bien compris que l’UE a des moyens.”

Les moyens justement: ceux de l’action extérieure de l’UE n’ont pas changé pour la période 2014-2020, un peu plus de 66 milliards d’euros pour la rubrique IV (« l’Europe dans le monde »), auxquels viennent s’ajouter les 30 milliards du FED destinés à l’aide au développement. Reste à définir une ligne politique claire et des priorités…

L’élargissement à 28 a conduit l’Union à orienter sa politique extérieure davantage vers l’est, avec une focalisation ces derniers mois sur la crise ukrainienne, et cela au détriment d’une “politique audacieuse pour l’Afrique”, regrette Philippe Hugon. “Le centre de gravité de l’Union européenne a clairement changé, et les nouveaux entrants n’ont pas de tropisme particulier pour l’Afrique”.

Quant à la politique de développement, comme d’autres bailleurs de fonds, l’Union Européenne affiche sa volonté de sortir d’une simple relation donateur – bénéficiaire verticale et de “différencier” l’aide, en la concentrant sur les pays les moins avancés ou les États faillis, pour privilégier d’autres formes de partenariats avec les pays qui se développent.

4 – Les migrations, zone d’ombre de la coopération Afrique – Europe

L’autre chantier de la coopération Afrique-Union européenne reste incontestablement celui des migrations. En 2013, plus de 30 000 migrants ont traversé la Méditerranée selon la Commission. Avec les drames que l’on connaît. L’intérêt partagé d’une Europe vieillissante et d’une Afrique en pleine vitalité démographique serait de redéfinir les bases d’une immigration légale renforcée, surtout pour les jeunes qualifiés, comme l’explique la politologue Corinne Valleix:

Mais les arguments électoralistes à courte vue et l'exacerbation des sentiments nationalistes poussent les dirigeants européens à ne pas franchir le pas et se contenter de brocarder l’immigration illégale. Ce défi majeur des migrations, comme les nombreux qui attendent la politique extérieure de l’UE en Afrique, ne peut faire l’économie d’une réflexion plus vaste sur l’identité européenne et la crise de son projet politique.

Dans un joli petit ouvrage, l’Europe depuis l’Afrique  Alain Mabanckou, racontait l’Europe telle qu’on la lui décrivait enfant, depuis les rivages de Pointe Noire, au Congo, où il a grandi. Une “idée,” une “croyance”,  une Europe ni à part, ni repliée sur elle même, mais tournée vers l’Afrique parce que  “l’Histoire nous a mis face à face” et “qu’on a toujours besoin d’un plus ou moins Européen que soi”. Le romancier congolais concluait ainsi:  “Nous autres originaires d’Afrique regardons l’Europe et espérons, pour son salut, qu’elle nous regarde aussi…”

Adrien de  Calan

Crise à l’université sénégalaise : les réformes nécessitent de la pédagogie

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La survenance d’une crise lors de la mise en œuvre de réformes publiques augmente toujours les difficultés qui justifient les réformes. Les réformes introduites dans le système de l’enseignement supérieur sénégalais étaient destinées à résoudre de façon déterminante les problèmes du secteur. La réforme L-M-D devait permettre d’échelonner la progression académique selon une démarche qui vise à doter les étudiants de qualifications en adéquation avec les exigences du monde du travail. Elle s’est déclinée dans l’octroi de crédits à chaque année d’étude, elle-même divisée en deux semestres.

Le système LMD est construit dans une logique d’améliorer la qualité de l’enseignement supérieur. Dans le même esprit, l’octroi de bourses qui allient des critères d’excellence et des critères sociaux s’est fait dans le souci du respect de l’équité et de la transparence dans le milieu universitaire. Il a donc été question de revenir sur le caractère généralisé et inconditionnel de la bourse, en plaçant le mérite au cœur de l’attribution des allocations d’études. Mais comme pour toute réforme, ces mesures du gouvernement sénégalais qui visaient à assainir le milieu universitaire, proposées par la Commission nationale de réflexion sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNRAES), ont heurté sur des résistances, du conservatisme, et quelques difficultés liées à leur mise en œuvre.

Parmi elles il y a eu en particulier la présence de forces de l’ordre dans l’espace universitaire, qui a longtemps été décriée. Les réformes prévoyaient la création d’une police universitaire pour sécuriser les universités publiques qui connaissent un phénomène de no man’s land indicible par endroits. Des activités qui échappent à toute régulation sont développées dans l’enceinte universitaire malgré leur caractère très dangereux. C’est le cas de plusieurs commerces non déclarés ou non autorisés, d’activités de groupes culturels, politiques ou autres qui y sont menées et qui sont susceptibles de causer des troubles à l’ordre public. Il y a également la récurrence de manifestations violentes d’étudiants réclamant bourses ou cours. Autant de risques de violences qui ont justifié aux yeux du gouvernement la présence de la police.  Même si elle répondait à un besoin de sécurisation, notamment à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle a finalement produit l’effet inverse car elle y a installé la psychose, la peur, et la révolte.  

Il y a eu une spirale de réforme-révolte-répression qui a débouché sur des faits malheureux : la mort par balle de l’étudiant Bassirou Faye (inscrit au Département de mathématiques) le 14 août 2014 lors d’affrontements entre étudiants et forces de l’ordre, la mise à sac de chambres et outils appartenant aux étudiants (livres, cahiers, ordinateurs…) et des coups et blessures injustifiés sur les étudiants.  Cette situation déplorable a résulté d’un long acharnement des forces de l’ordre sur les étudiants.

Il convient dès lors de reconsidérer la nécessité de la présence des forces de l’ordre dans l’espace universitaire qui bénéficie, depuis l’origine, de franchises qui interdisent une telle présence. Cela ne signifiera nullement la remise en cause du besoin d’assainir l’espace universitaire qui a justifié les réformes en cours. Cependant, une réforme, quelle qu’elle soit, doit prendre en compte l’avis de ses destinataires ultimes, et celles qui concernent le système éducatif sénégalais doivent également le faire.

Il serait donc judicieux de consulter les étudiants, les enseignants, les parents, ainsi que tous les personnels du système éducatif pour mieux identifier les besoins de réformes dont celui-ci a besoin. A l’image de la commission sur l’éducation dirigée par le Pr Abdou Salam Sall, ces consultations devraient aboutir à une véritable refonte du système éducatif. Les maux qui bloquent ce système sont nombreux (sureffectif, déficit en infrastructures et en personnel enseignant, insuffisance de moyens financiers, manque de formation de certains enseignants, offre de formation obsolète, retard dans le paiement des bourses d’études, non-respect du calendrier pédagogique…). C’est un ensemble de problèmes nés et aggravés par une gestion  inadéquate par le passé (installation d’abris provisoires, véritables leurres face au déficit en infrastructures, recrutements basés sur la corruption à certains niveaux du système, leur corollaire : baisse du niveau des élèves/étudiants due au manque de formation, échec scolaire etc.) Cette gestion négligente a causé beaucoup de tort à des milliers d’enfants en âge de scolarisation.

Les maux du système éducatif sont autant de dangers pour le développement socio-économique du pays. Pour les adresser, il faudra éviter d’adopter des recettes  sans les confronter avec les réalités économiques du Sénégal (pauvreté des ménages, rareté de l’emploi, précarité et pression sociales…). C’est pourquoi la pédagogie est nécessaire pour la réussite des réformes publiques en général, et dans le système universitaire en particulier, afin d’éviter des confrontations inutiles qui les bloquent. Il faut espérer qu’après les Assises de l’éducation, et des outils comme le Programme d’amélioration de la qualité de l’enseignement proposé aux écoles, qui ont pris en compte cette dimension inclusive, notamment par la gestion communautaire et des fonds nouveaux, le système éducatif se portera mieux. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

Le conflit centrafricain, ou comment repenser le régionalisme en Afrique

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Il ne suffit pas de dessiner 8 espaces sur une carte pour leur conférer une réalité sociale et historique. Sans aller jusqu’à comparer le découpage actuel du continent à celui qui se fit lors de la conférence de Berlin de 1886, il convient tout même d’interroger les raisons qui ont sous-tendu ce découpage.

Se rappelle-t-on que lors du sommet d’Addis-Abeba qui allait porter l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) sur les fonts baptismaux, certains  proposèrent une Afrique divisée en 3 ou en 4 ? Se souvient-on que dans le projet initial de l’OUA, le Cameroun était intégrée à l’Afrique de l’Ouest ? Se rappelle-t-on aussi l’affrontement entre le groupe de Casablanca – partisans d’une union politique africaine – et celui de Monrovia – plus réticents à abandonner le concept de l’État-nation – et  la victoire de la logique de coopération sur celle d’intégration ?

Avant l’indépendance, bien avant la  colonisation, l’Afrique comme tous les autres continents, a été une terre de conquête par les idées (superstructure) et par des formes politiques (infrastructure).  Dès lors l’unité africaine existe avant tout comme une téléologie, et l’OUA, l’UA et les CER sont ces formes politiques. Destinées à quoi faire ? Là est la question. Ce débat entre matérialisme et idéalisme se posant à toutes les constructions sociales humaines, il ne pouvait en être autrement sur le continent africain ; d’autant que la tâche est d’envergure pour un continent deux fois plus grand et peuplé que l’Europe.

La situation qui déchire la Centrafrique depuis plusieurs mois nous tance sur le projet panafricain. Un projet qui, tel qu’il se développe actuellement, pose autant – sinon plus –  de problèmes qu’il ne résout de solutions. Parce qu’une division de l’espace continental en 8 Communautés Economiques Régionales ne suffit pas à instaurer une division scientifique du maintien de la paix (CEDEAO, CEEAC, UMA, IGAD, COMESA, CAE, SADC, CEN-SAD) ; parce les dynamiques qui animent ces espaces posent la question de leur complémentarité ; et enfin parce qu’à l’instar du Mali, la Centrafrique assène une vérité essentielle : l’intangibilité des frontières des Etats ne signifie pas celle des  espaces régionaux.

A ce sujet, la Centrafrique, pays carrefour d’une région carrefour du continent, n’a jamais mieux porté son nom qu’aujourd’hui. Le conflit qui mine à nouveau le pays depuis fin 2012  est de nature à susciter le débat sur la construction panafricaine. Ce faisant, saisir le défi centrafricain reviendrait à saisir le défi de toute une sous-région et in extenso celui d’un continent. Si la CEDEAO ou la SADC sont souvent citées en « exemple »  en termes d’intégration régionale, nous avons énormément à apprendre des déboires de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC).

La question de la construction d’un espace régional en Afrique centrale pose la question de l’intégration certes ; mais il nous semble qu’il est surtout le révélateur d’un autre concept clé trop souvent mésestimé: l’inter-régionalisme.

Avec l’Afrique centrale, nous disposons d’un espace régional particulier dont les frontières semblent se mouvoir. L’existence en son sein de pays comme la République démocratique du Congo (RDC) et l’Angola appartenant à la fois à la SADC et à la CEEAC ; ou encore du Rwanda qui s’est « détournée » de l’Afrique centrale au profit de l’Afrique de l’est sont autant de phénomènes particuliers à cette région.

Aussi les évènements de cette année en Centrafrique ou encore en RDC ne cessent-ils de rappeler que la question sécuritaire en Afrique centrale ne va pas sans le concours des autres sous-régions. Il est évident qu’en tant que région centrale, il  est tout à fait logique qu’elle soit celle qui partage le plus de frontières. Et c’est pour cette raison qu’elle réclame d’autant plus d’attention. Que faut-il penser quand les actes criminels du LRA ougandais se prolongent en Centrafrique ? Que dire encore quand Boko Haram mène ses incursions dans le Nord-Cameroun et va jusqu’à enlever la femme du Vice-Premier ministre ?

Le cas libyen a réaffirmé que l’effet domino est une réalité inquiétante  dans ce continent : les conséquences de l’effondrement du régime libyen ont rampé jusqu’en Centrafrique en passant par le Mali, le Niger et le Tchad. 4 pays, 2 sous-régions. Et pourtant, à  l’inter-régionalisation des conflits  ne répond pas encore un  inter-régionalisme institutionnel fort.  Et comme d’habitude cela  se traduit sur le plan de la sécurité bien que les faits soient de nature à nous y exhorter.

L’apport prépondérant des forces tchadiennes (20% des effectifs) dans la MINUSMA, celui considérable de l’Ouganda  dans le cadre de l’Initiative de Coopération Régionale  en Centrafrique, au Soudan et en RDC ou encore l’implication de l’Afrique du Sud en RDC sont autant de preuves que le cadre de réflexion des  problèmes de sécurité en Afrique dépasse de loin celui d’une sous-région.

Il nous semble qu’en Afrique se jouera dans les décennies à venir le nouveau paradigme de sécurité continentale. Plus qu’un paradigme il s’agit de s’affranchir de nos habituels  carcans conceptuels qui brident les perspectives d’évolution de la construction panafricaine. Les idées construisent et cela ne doit pas être oublié. L’inter-régionalisme n’est pas que la  fin de la construction panafricaine, elle en est aussi un moyen.

Mise en branle par la Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), puis confirmée par les accords tripartites entre le COMESA, la SADC et la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), et les accords SADC-COMESA-CEEAC, la logique verticale de développement impulsée par l’Afrique du Sud notamment trouve en l’Afrique centrale un espace de conquête.  Face à une organisation régionale défaillante, cette logique verticale pourrait séduire d’autres pays d’Afrique centrale à l’instar de la RDC et de l’Angola.

Face à cette logique verticale, il existe les contours d’une logique horizontale symbolisée par la zone Franc (commune à la majorité des pays d’Afrique centrale et de l’Ouest et la bande sahélienne.  Alors pourrait se jouer dans cette région centrale une compétition qui pourrait amener au redimensionnement de cet espace régional voire à sa disparition. 

Cheikh Gueye

Ebola, une terreur politico-économique

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Ayant principalement frappé trois pays d’Afrique de l’Ouest, le Libéria, la Guinée et la Sierra Leone, la propagation du virus Ebola depuis mars 2014 bat tous les records. En effet, l’épidémie en date dépasse de loin tous les dégâts qu’Ebola avait pu causer dans le passé. Face à la gravité des faits, une mobilisation internationale a tout naturellement vu le jour avec pour dessein de lutter pour une accalmie voire une totale éradication de cette maladie. Cependant, la fièvre hémorragique Ebola semble manifestement dicter ses propres lois en termes de relations géopolitiques et géoéconomiques.

Des bilans de plus en plus lourds …

La catastrophe sanitaire gagne du terrain. Le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), publié le mercredi 12 novembre, fait état de 5 160 personnes mortes sur 14 098 cas de fièvre hémorragique Ebola enregistrés. On assiste ainsi à l’épidémie la plus grave depuis la découverte du virus en 1976 en Afrique centrale.

Aide internationale et fermeture de frontières

Face à la précarité de la situation et aux signaux de détresse envoyés par les pays touchés, des mesures d’urgence ont été prises parmi les acteurs de la scène internationale. Ainsi, le 16 septembre, le président américain Barack Obama annonçait l’envoi de 3 000 soldats américains au Libéria pour participer à la construction de 17 centres de traitement, offrir une aide logistique et assurer des formations pour le personnel sanitaire, tout en promettant de débloquer des centaines de millions de dollars. Le Libéria possède de faibles moyens pour contrer la propagation de ce virus et que sa capitale, Monrovia, où réside plus de 1,2 million d’habitants, a été frappée de plein fouet. La France a également fourni du matériel médical et versé 9 millions d’euros d’aide à la Guinée. La Sierra Leone, quant à elle, a reçu des soutiens matériel, humain et financier en provenance d’Angleterre, d’Autriche, de Belgique mais aussi de Chine. On pourra ainsi noter l’engagement de nombreux pays du Nord dans la lutte contre cette pandémie et que cela aura eu le mérite de faire quelque peu oublier le manque de réactivité de l’ONU face à cette menace.

Cependant, dans cet élan de solidarité internationale, ce sont surtout les médecins volontaires d’organisations non-gouvernementales qui se sont fait remarquer. Bravant tous les dangers, quitte à se rendre dans les zones rouges, ces médecins ont su redonner de la force et du courage aux populations affectées, en utilisant les techniques et soins de prévention appropriés. Parmi les cas d’Ebola hors d’Afrique, on compte notamment trois aides-soignantes, deux Américaines, une Française rattachée à Médecins Sans Frontières (MSF), ayant montré des symptômes de la maladie à son retour du Libéria ; et une Espagnole ayant été en contact avec deux missionnaires contaminés puis décédés peu de temps après leur retour de Sierra Leone.

A l’inverse, certains pays ont fermé leurs frontières aux pays touchés lorsque certains ont préféré mettre en place des systèmes de mise en quarantaine parfois jugés comme étant exagérés. De telles mesures ont été prises dans le but d’empêcher des personnes infectées de fuir leur pays et propager l’épidémie au-delà des frontières. Au plan régional, la Guinée Equatoriale et le Sénégal ont pris la décision de fermer leurs frontières avec la Guinée. De nombreux vols de la Côte d’Ivoire, du Tchad et de la Gambie vers les pays touchés ont été annulés. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada, suivant l’Australie, a fait le choix de ne plus accorder de visas aux ressortissants des pays principalement contaminés mais aussi aux personnes y ayant séjournés. Ces nouvelles dispositions politiques, mues sans nul doute par un sentiment de peur et un instinct de survie à grande échelle, ne semblent cependant pas politiquement courageuses. Hélas, il demeurera toujours une probabilité, certes fine, que les personnes en provenance du Libéria, de la Sierra Leone ou de Guinée trouvent des moyens de transiter par d’autres pays pour se rendre là où elles considèrent pouvoir retrouver une sécurité sanitaire.

D’autres pays tels que les Etats-Unis ont préféré se lancer dans une procédure de mise en quarantaine systématique des humanitaires de retour d’Afrique de l’Ouest. Devant pourtant être ceux qui méritent d’être traités avec le plus de tact et de respect, les infirmiers sont bel et bien ceux qui pâtissent le plus de cette politique. Kaci Hickox, la première d’entre eux à être passée par ce protocole, s’est exprimée en les termes suivants : « Je ne souhaite à personne une telle situation et j'ai peur pour les gens qui vont être dans mon cas à l'avenir » tout en ajoutant s’être sentie telle une « criminelle ». En effet, ce système semble déshumaniser les personnes suspectées de présenter des symptômes de la maladie. Fortement critiquée, la mise en quarantaine est considérée comme contre-productive car les données scientifiques prouvent que sans symptômes, il n’y a pas lieu de considérer l’éventualité d’une contagion. Il devient alors essentiel de réinstaurer une relation de confiance entre les contrôleurs et les volontaires, en indiquant à ces derniers des mesures précises à suivre les 21 jours suivants leur arrivée mais aussi et surtout, pour les motiver à repartir sur le terrain et contribuer à l’éradication d’Ebola.

Un environnement économique chamboulé

Il est indubitable que le virus Ebola constitue une menace économique pour les pays d’Afrique de l’Ouest. Il vient malheureusement au moment où l’Afrique connait une belle période en termes d’investissements. Or, selon la Banque mondiale, si l’épidémie continue de se répandre dans les pays les plus touchés et se propage aux pays limitrophes, l’impact financier pourrait atteindre 32,6 milliards de dollars. L’un des secteurs les plus touchés étant le tourisme d’affaires, certaines entreprises étrangères, notamment dans le secteur minier, ont interrompu leurs projets au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Leurs voisins tels que le Sénégal et la Côte d’Ivoire pâtissent également de cette situation, avec l’annulation de nombreux séminaires et colloques.

Publié au début du mois d’octobre, une analyse de la Banque africaine de développement (BAD) prévoie deux cas de figures dans l’éventualité d’un phénomène de contagion à d’autres pays. Concernant, le scénario « bas », les pertes du PIB de l’Afrique de l’Ouest  pourraient s’élever à 2.2 milliards de dollars en 2014 et 1,6 milliards en 2015. Pour ce qui est du scénario dit « haut », ces pertes pourraient s’élever à 7,4 milliards de dollars en 2014 et atteindre 25,2 milliards en 2015. Ceci explique pourquoi il est plus que nécessaire que l’ONU renforce son aide financière aux pays touchés car leurs activités et échanges économiques risquent peu à peu d’être paralysés, sans compter leur manque grandissant de ressources humaines. Le plus dur sera encore de faire disparaître ce sentiment de rejet et de stigmatisation que nourrissent les acteurs économiques régionaux et internationaux à l’égard des pays directement concernés.

Un fléau mais aussi une stigmatisation

Le terme Ebola suscite une peur à dimension internationale et, dans ce monde que l’on qualifie pourtant d’interconnecté, une nette rupture de sociabilité se fait sentir. Il n’y aurait manifestement que deux groupes désormais : les ressortissants du « triangle » Ebola et les autres. C’est précisément la raison pour laquelle de nombreuses voix, ne pouvant plus supporter cette stigmatisation se sont faites entendre. Parmi elles, la bloggeuse Sierra Léonaise, Hannah Foullah, qui a publié une vidéo où défilent les photos de plusieurs de ses compatriotes, chacune accompagnée d’un message disant « Je suis Sierra Léonais, pas un virus ! » ou encore « Isolez Ebola, pas notre pays ». Elle explique vouloir ouvrir les yeux aux autres en affirmant que de la même façon que son pays a pu se remettre d’une guerre civile, ceci  n’est qu’une mauvaise passe de plus et qu’elle ne définit en rien son peuple. Dans le même registre, une photographe et présentatrice de télévision libérienne a réalisé une vidéo où différentes personnes tiennent une pancarte contenant le message « Je suis Libérien et non un virus ! ». Signalons par ailleurs que le Libéria traverse récemment une phase d’apaisement et que les spécialistes considèrent qu’il y a de bonnes raisons d’être optimistes quant au recul de la pandémie.

Redoublant de créativité, Anthony England, professeur de chimie aux Etats-Unis, a réalisé une carte pour préciser que la fièvre hémorragique Ebola ne concerne principalement que trois pays. Publié sur Twitter, ce schéma a pour objectif de sensibiliser les internautes sur cet amalgame trop fréquent entre le fait d’être Africain et celui de contracter cette maladie. Tout ceci conduit essentiellement à un point vital : les ressortissants des pays où Ebola s’est installé tiennent plus que tout à être traités dignement mais aussi à ne pas être isolés du reste du monde. La réponse la plus concrète serait donc d’envoyer le maximum d’aide médicale possible pour limiter les risques de transmission, encercler le virus, l’exterminer et, par-dessus-tout, faire un pas de plus dans la réinstauration de la paix et de la sécurité internationales.

 Khadidiatou Cissé

How can behavioral change support the fight against corruption?

 

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As a young Moroccan woman who aspires to participate in the management of public affairs in my own country, I often wondered: what would prevent me from becoming a corrupt political leader? What pre-disposes so many transparent young individuals to become corruptible decision-makers? How to ensure that citizens will not abuse entrusted power for private gain? I could not obtain a complete and satisfying answer to these questions. However, my engagement in a consultancy project with Transparency International[1] gave me some elements of answer. It is particularly during my visit to Niger that I got the most insightful perspective. Indeed, I got the chance to interview Mrs. Salifou Fatimata Bazèye; one of the most powerful women in the country. In addition to her achievements as the president of the Constitutional Court, her integrity made her an icon for the promotion of rule of law. When I asked her: What made you resist to corruption? She answered: My values.

Indeed, the fight against corruption is a multidimensional process. If institutional capacity and political will are indispensable to prevent and combat corruption, we often tend to underestimate the role of culture and values. In this post, I have decided to bypass -indispensable- institution-building mechanisms and anti- corruption policies, and rather shed light on system of values as both an asset and a tool in the fight against corruption. Therefore, I will share some of the best practices adopted by Transparency International (TI) and its Nigerien chapter, the Nigerian Association for the Fight against Corruption (ANLC), in its effort to highlight transparency and merit within the existing system of values.

The ALNC: the Transparency International chapter in Niger

The ANLC plays a key role in the Nigerian civil society. It is the driving force behind national efforts to fight corruption, which is endemic in the country. Ever since its creation in 2001, the ANLC promotes reforms in favor of transparency in public and private management as well as transparency in national and international transactions. However, one of the most important dimensions of the ALNC is its activities that directly engage citizens to report and fight fraud.

In 2010, the Advocacy and Legal Advice Center within the ALNC was established with the rationale that the fight against corruption would be more effective if ordinary citizens were engaged in reporting. In that sense, the association has conducted panoply of activities including meeting and exchanges; public awareness campaigns; conferences in universities; workshops and trainings targeting youth, women, judges and elected officials; as well as the publication of studies and reports.

The fight against corruption requires both institutional and behavioral change

Hence, the ANLC attempts to tackle corruption at all scales; thereby addressing petty, grand, and systemic corruptions.

At the macro-level, it plays a key role in supporting national efforts to renegotiate exploitation contracts with foreign companies. It initiated petitions and campaigns. It also spearheads inspection missions in major industries. Even Nigerien citizens are well aware that corruption is intrinsically structural and mainly linked to systemic causes. The majority of locals I interviewed emphasized that the heart of corruption lies in the extractive industry. Referring to the big gap between Niger's natural endowment (uranium, oil, gold, vast land) and its poor human development (ranked at the bottom of the Human Development Index[2]), most Nigeriens are aware that the  terms of exploitation by foreign companies and the complicit acceptance of a corrupt political elite are the root causes that shape corruption in the country.

Nonetheless, the ANLC rejects “the wait and see attitude”, and undertakes measures that promote both institutional and behavioral change. It calls for citizens to promote change, but also to embody the values of integrity that they foresee for their country. The association deploys considerable effort to involve citizens. It aims to activate a system of values that encourages the people to control, condemn, and reject corrupt acts in all aspects of life.

Five best practices in engaging citizens

In that sense, the ALNC adopts five key principles:

1- Autonomy

The ALAC embraces the principle of “autonomization”. Its role is to inform, assist, and build citizens’ capacity to counter corruption. It does not aim to create a relation of dependency and refuses to substitute for the individuals. It rather provides citizens with juridical tools, instruments, and guidance. That includes Direct Juridical Assistance through a hot line “7777” (to foster anonymity) and through in-person complaint reception.

In addition, it mobilizes traditional and modern media such as public speak-outs, radio and television commercials to reach out to the public. It also relies on music, theater, and arts to appeal to youth and promote transparent behavior among them.

2- Inclusiveness

Furthermore, the ALNC staff organizes regular awareness campaigns in rural areas. I had the chance to participate in six field missions in rural communes, and I personally think that these are the most intense and powerful activities for the organization. In fact, these visits are impactful because they are both participatory and inclusive.

First, the ANLC integrates traditional actors and capitalizes on their educational influence. For instance, religious and traditional leaders are integrated as partners. On the one hand, chiefs of villages often play a key role in mobilizing the locals and maximizing their attendance. On the other hand, religious leaders use religious references (such as Hadiths, Quran, and Sunna) to support the ALNC’s promotion of honesty, transparency, and justice; and do even encourage citizens to report, reject, and condemn corrupt acts; as part of religious practices.

Moreover, sensitization campaigns particularly target women’s groups and youth. The ALAC's outreach strategies have been effective thanks to its gender and social considerations. Indeed, women are included –and often the major targets- of the campaign. Not only do women tend to be well organized in these structures, but they also have a spillover effect. Women’s educational role within families is leveraged by the organization; thereby aiming to capitalize on their role of “moral teachers”.

Second, awareness campaigns are not organized in a unilateral and one-way conversation. On the contrary, the locals are engaged in interactive discussions.  They are invited to define corruption, give examples, share their experiences, identify causes and find potential solutions. There personal testimonies and analyses are eye opening for participants. They are encouraged to think of corruption and directly identify with concrete examples.

3- Responsibility

TI staff encourages consciousness of the role and responsibility of the citizens. Breaking away from the discourse of passive victims, the facilitators directly point to the harmful practices of citizens: “You want the state to deliver, but what do you do for the state?” (TI facilitator, during sensitization campaign). They stress that petty corruption benefits to individuals and impoverishes the state; which consequently is less able to deliver for the citizens.

Hence, Nigeriens—women and men—are called to understand themselves as real citizens; thereby, comply with the law and respect their obligations. As an example, the ANLC facilitators highlight how the act of selling one's votes during political elections frees political leaders from any accountability. Thus, they call for a commitment of citizens at the grass-root. The power of change is put within the citizens.

4- Role Modeling

The facilitators also give positive examples of people who denounce and fight corruption. These successful cases are emphasized in order to fight defeatism and reject counter-models of people who succeed through dishonest means. For instance, the case of Mrs. Salifou Fatimata, ex-president of the constitutional court, who resisted to corruption and intimidation, is raised as a success story:  “At the beginning of her career, a man attempted to corrupt her. She sent him to jail. After that no one approached her and attempted to corrupt her. So, it is possible! “(Mr. Nouhou, secretary of TI in Niger). The ALNC asserts the need to celebrate the right examples.

5- Delegation

Last but not least, the ALNC ends every sensitization campaign with the creation of local anti-corruption clubs. These are community-based entities and local branches of the ALNC that ensures the durability of the sensitization campaign.

The boards of the anti-corruption clubs are elected by the local participants the day of the sensitization campaign. Later, they are trained to inform and assist locals in their reporting and fight against corruption. Interestingly, women do often dominate in terms of seats, which might challenge many assumptions with regard to Niger and other countries in the region.

Conclusion

To conclude, this short post does not aim to undermine the crucial importance of policies and institutional anti-corruption mechanisms. It rather aims to voice a local perspective on the question. Indeed, I consider that the leaders and locals I interviewed are pointing to a direction we should not neglect. What they refer to as “a crisis of values” is a deep factor in the spread of corruption. Thus the fight against corruption cannot be won through laws alone, it requires us to raise awareness and re-activate positive norms within society.

Lamia Bazir


[1]    I was one of the six students from the School of International and Public Affairs (Columbia University) who were selected to work on a project on Gender and Corruption. The consultancy lasted for a period of seven months (Nov. 2013 to May 2014). It involved field visits in Niger and Zimbabwe.

 

[2]    Niger was the country with the lowest Human Development Index in the world  in 2014 (0,337) 

 

Burundi, Bénin, Congo, RDC, Rwanda… : pas touche à ma constitution ?

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Depuis plusieurs mois, un même débat faisait rage, dans de nombreux pays africains. Au Burundi, au Burkina Faso, au Bénin, au Congo, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda pour ne citer qu’eux, la classe politique et les citoyens se déchiraient sur une éventuelle révision de la constitution autorisant le chef de l’État à briguer un nouveau mandat, ce que la loi fondamentale, en l’état, lui interdit. 

Les termes de la controverse ont radicalement changé le 30 et le 31 octobre. Au Faso, la contestation grandissante pour sauver la constitution et son article 37 – celui qui empêchait le président Compaoré de rempiler après 27 ans de pouvoir – s’est transformée en révolution. Un tournant politique qui sonne comme un avertissement pour tous les chefs d’État  de la région.

Les arguments favorables à une révision constitutionnelle sont connus : stabilité du régime, paix et sécurité, approfondissement de politiques déjà engagées, voire adhésion de la population à la présidence en cours et à un changement de constitution qui pourrait dit-on être confirmé par référendum. Qu’en est-il des opinions inverses ? Voici les principaux arguments défendus par ceux qui s’opposent à tout “tripatouillage électoral”.

 1- Parce que tout a changé depuis la Burkina

 La révolution burkinabè annonce-t-elle des mouvements de contestation à venir dans les deux Congo, au Burundi, au Rwanda? Difficile à dire bien sûr. Le contexte a en tout cas radicalement changé depuis ces derniers jours d’octobre. Dans les pays concernés, les responsables de l’opposition ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : “la leçon qu’il faut tirer de cela c’est que les différents chefs d’État doivent comprendre que plus rien ne sera comme auparavant. Et ceci doit être une leçon qui doit être retenue pour chez nous aussi, où nous avons choisi la lutte pacifique», a ainsi déclaré Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC) en RDC.

 Certes, il y a plus de trois ans et demi déjà, avait lieu les printemps arabes. L’inquiétude était alors palpable dans certaines capitales africaines. Mais le Maghreb restait lointain, et la dégradation des conditions sécuritaires qui s’est installée depuis dans certains pays, devenait même pour certains chefs d’État un argument pour revendiquer leur indispensable rôle dans le maintien de la stabilité du continent.

 Le cas burkinabè rebat incontestablement les cartes. D’abord parce qu’il est plus proche et repose exactement sur la même équation : toucher ou non à un article de la constitution devenu le totem qui cristallise les revendications de l’opposition. Ensuite, parce que le régime de Blaise Compaoré ressemblait à s’y méprendre à certains cités plus haut.

Le parallèle le plus parlant étant sans doute celui avec le Congo-Brazzaville.  27 ans de pouvoir pour le « beau Blaise », près de 30 pour Denis Sassou Nguesso, aux commandes depuis 1979 (malgré une interruption entre 1992 et 1997). Et une stratégie commune : se rendre indispensable sur la scène internationale. Un rôle de médiateur au Mali pour Compaoré, une médiation en Centrafrique pour Sassou Nguesso, très impliqué dans la crise en cours à Bangui.

 2 – Pour permettre l’alternance

 Faut-il empêcher un président qui fait du bon travail de le poursuivre s’il est soutenu par sa population ?  Sans être absurde, l’argument reste au moins intrigant pour ceux qui, comme Compaoré ou Denis Sassou Nguesso, ont passé plusieurs dizaines d’années au pouvoir et ont eu tout le loisir de mettre en œuvre les politiques qu’ils estimaient utiles à leurs pays.

 Les cinq pays pourront aussi prendre l’exemple du Sénégal avec son alternance pacifique entre Diouf et Wade en 2000, puis l’élection de Macky Sall en 2012, qui ont montré les vertus d’un changement à la tête de l’État pour assurer un renouvellement des élites et des pratiques du pouvoir ; ou celui du du Ghana où après deux mandats, le président Kufuor a cédé la place à son successeur Atta-Mills en 2009.

3 – Pour respecter ses engagements nationaux et internationaux

Les opposants à tout changement constitutionnel invoquent aussi le respect des engagements nationaux et internationaux des gouvernants. Ainsi dans bien des pays, la constitution envisage des possibilités de révision mais exclut précisément tout changement qui concernerait la durée et le nombre de mandats. C’est l’article 185 à Brazzaville ou le 220 à Kinshasa qui précise que “ le nombre et la durée des mandats du Président de la République (…) ne peuvent faire l'objet d'aucune révision constitutionnelle.”

 Pour la Conférence épiscopale de RDC, qui ne cesse de réitérer son opposition à une révision constitutionnelle, “cet article pose les bases de la stabilité du pays et l’équilibre des pouvoirs dans les institutions. Le modifier serait faire marche en arrière sur le chemin de la construction de notre démocratie et compromettre gravement l’avenir harmonieux de la Nation”,  

Sur le plan international, les cinq États  cités ci-dessus ont également tous signé la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007 qui condamne dans son article 23(5) : “Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, "qui représenterait un “changement anticonstitutionnel de gouvernement et passible de sanctions appropriées de la part de l’Union”.

4 – Pour dépersonnaliser la loi

Rarement des constitutions auront suscité autant de passions dans les capitales du continent, laissant une drôle d’image d’une Afrique où tout débat constitutionnel apparaît inextricablement lié à celui du maintien au pouvoir du chef, comme si chose publique et chose privée étaient inévitablement mêlées. On ne débat plus de la constitution pour de réelles raisons juridiques ou sociales mais bien pour l’adapter à une situation individuelle d’un président :  la loi n’encadre pas l’exercice du pouvoir mais est aménagée en fonction de lui.

 En 1995, quand l’Assemblée nationale ivoirienne obligeait tout candidat à la magistrature suprême à fournir la preuve que ses deux parents sont effectivement nés en Côte d'Ivoire, l’objectif ultime était de transformer en loi “le concept d’”ivoirité” imaginé par le président Henri Konan Bédié afin de disqualifier son principal rival Alassane Ouattara.

Quant au Congo-Brazzaville, l’article 58 de la constitution de 2002 interdit à tout candidat de plus de 70 ans de se présenter à la présidentielle. Son adoption visait moins à rajeunir la classe politique qu’à empêcher les concurrents de Sassou Nguesso de l’époque, comme Pascal Lissouba, de se présenter. Un verrou générationnel qui se retourne aujourd’hui contre celui qui l’a fixé puisque c’est désormais Sassou lui-même qui a atteint la limite d’âge…

5 – Pour la stabilité institutionnelle

“L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes”, affirmait Barack Obama en 2009 dans son discours d’Accra, précisant que l’Histoire n’est pas du côté de “ceux qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir”.

Une constitution comme toute construction humaine n’a aucune de raison d’être immuable. Mais les règles du jeu qu’elle instaure méritent au moins d’être éprouvées dans la durée. La plupart des pays cités ont des constitutions récentes : 2006 pour la RDC, 2005 pour le Burundi, 2003 pour le Rwanda, 2002 pour le Congo.

Entretenir l’instabilité institutionnelle, c’est mettre à mal la confiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants. Le Congo-Brazzaville est “le plus vaste cimetière institutionnel de l’Afrique”, dénonçait en 2001 l’universitaire Félix Bankounda. Depuis son indépendance en 1960, le pays a connu treize textes fondamentaux (six constitutions et sept actes fondamentaux), dont huit sous la seule présidence de Sassou Nguesso.

6 – Pour échapper à la caricature

Si la présidence à vie n’est pas l’apanage de l’Afrique, il n’en reste pas moins comme le note le journaliste Tirthankar Shanda que “sur les 19 chefs d’État qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, 14 sont Africains !”. Après le Burkina, la communauté internationale sera peut être – qui sait ? – plus exigeante. La France avait prévenu à plusieurs reprises le président Compaoré, semble insister l’Élysée depuis quelques jours.

Mais il faudra sans aucun doute des concessions. Peut-on, défendre par exemple un ambigu statut d’immunité qui garantirait une sécurité économique et judiciaire à des chefs d’Etat qui, s’ils lâchent le pouvoir, redoutent la revanche de ceux qui l’ont trop longtemps attendu ? Ou offrir une (prestigieuse) porte de sortie aux présidents en place en leur attribuant de nouvelles missions dans des institutions internationales comme le proposait François Hollande à Compaoré dans un courrier du 7 octobre l’invitant à ne pas toucher à la constitution.

Ou même, si finalement maintien au pouvoir il y a, négocier de réelles contreparties. Car la conclusion du débat dépendra bien sûr de la situation bien particulière de chacun des pays. Un responsable de l’opposition burundaise confiait ainsi il y a quelques semaines qu’il avait “toutes les raisons de croire que Pierre Nkurunziza serait toujours président après 2015”, compte tenu des équilibres politiques de son pays. Mais il réclamait en échange “une vraie négociation pour ouvrir le jeu politique alors qu’il est complètement crispé. Pour cela nous aurons besoin d’un réel appui et de toute la pression de la communauté internationale”. Ce serait le moins.

Adrien de Calan

Burkina Faso: C’est une révolte ? Non, Sire, c’est une révolution !

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L’image est saisissante : en ce jeudi 30 octobre, matin de révolution, une bande de manifestants s’empare du siège de la Radio-télévision du Burkina (RTB). Armés de bâtons, d’une chemise rose et d’une stéréo portable, ils posent jubilants sur un plateau télé où, à peine quelques heures plus tôt, un journaliste soucieux de ménager le pouvoir en place s’évertuait à reléguer leur révolte au second plan. 

Encore plus saisissant est le contraste entre cette joyeuse troupe et les visages fermés d’un groupe d’officiers qui, au printemps 2012, annonçait à la télévision nationale du Mali voisin qu’ils venaient de renverser le régime du président Amadou Toumani Touré et d’instaurer une junte militaire. Quelle que soit l’issue – à cette heure encore incertaine – de la transition actuellement engagée au Burkina Faso, cette image ne pourra pas être oubliée : en ce 30 octobre 2014, alors que le Parlement s’apprêtait à réviser la Constitution pour permettre au président Blaise Compaoré de se représenter en 2015, c’est bien le peuple burkinabè qui s’est levé en masse pour dire non.

Compaoré a joué, et il a perdu ; en dépit des avertissements d’une société civile toujours plus combative, des manifestations sans cesse plus fréquentes et fréquentées, il s’est obstiné sur la voie d’une révision constitutionnelle hasardeuse. Convaincu qu’après 27 ans au pouvoir, sa propre personne valait plus que toutes les institutions du pays réunies, il a sous-estimé l’aspiration au changement d’une grande partie de la population, et surtout d’une jeunesse qui est née et a grandi toute sa vie dans l’ombre de son portrait officiel. Compaoré serait probablement sorti par la grande porte s’il avait accepté de quitter le pouvoir à l’expiration de son mandat en novembre 2015 ; sa longue carrière de médiateur dans de nombreux conflits ouest-africains aurait pu été récompensée par une position prestigieuse dans une institution internationale. Il n’en sera rien de cela : le pompier devenu pyromane, chassé de son propre pays, est finalement sorti de l’Histoire en catimini.

Dans une réponse éclatante à la mégalomanie des hommes au pouvoir, la foule a subitement laissé éclater sa colère, contenue pendant les manifestations de ces derniers mois. Les leaders de l’opposition, qui avaient lancé une campagne de désobéissance civile quelques jours plus tôt, se sont retrouvés complètement dépassés. De l’Assemblée nationale, envahie et saccagée alors que les députés rentraient dans l’hémicycle, l’insurrection s’est propagée aux locaux de la RTB, et de là à tous les symboles du régime – des bureaux du parti au pouvoir aux résidences privées des proches de Compaoré. Cette opération improvisée d’abolition des privilèges a eu son revers de la médaille, avec des vagues de pillages et la destruction de certains bâtiments publics – comme le Palais de Justice de Bobo-Dioulasso ou l’Assemblée nationale – qui manqueront certainement au Burkina Faso durant les mois à venir. L’opération mana mana, lancée ce samedi 1er novembre pour nettoyer les rues de Ouagadougou, est pourtant de bonne augure pour un retour au calme rapide.

Devant l’ampleur des protestations, l’armée a finalement pris la main. Blaise Compaoré a été contraint de démissionner et a trouvé refuge en Côte d’Ivoire. Divisée pendant près de 48 heures, l’institution militaire s’est finalement accordée sur le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida pour conduire une transition. Zida semble avoir le soutien des principales organisations de la société civile, qui se méfiaient de son principal concurrent, le général Honoré Traoré, chef d’état-major des armées.

Mais l’intervention de l’armée est loin de faire l’unanimité, et il faut maintenant veiller à ce que cette transition militaire ne s’éternise pas. Même si l’opposition politique est faible et parfois discréditée pour s’être associée dans le passé avec le régime de Compaoré,  il est impératif que le pouvoir revienne aux civils dans les plus brefs délais. Dans un tel climat révolutionnaire, des nouveaux leaders, qu’ils proviennent de l’opposition établie ou de la société civile, vont être amenés à émerger dans les prochaines semaines avec l’assentiment populaire ; c’est à eux, et non pas aux militaires, qu’il doit revenir de conduire le Burkina Faso vers un nouveau chapitre de son histoire politique.

Malgré la confusion de ces derniers jours, l’optimisme est de mise quant au déroulement de cette transition. L’exercice du pouvoir par les hommes en armes, au même titre que les révisions constitutionnelles, est devenu de moins en moins acceptable au cours de ces dernières années : la pression des organisations régionales africaines (CEDEAO et Union africaine), s’ajoutant à celle de la rue, devrait rapidement contraindre l’armée à confier les rênes du pouvoir à des autorités civiles. La transition devrait être étroitement surveillée par les institutions internationales et les puissances occidentales (la France et les États-Unis), qui ne peuvent se permettre de voir le Burkina Faso plonger dans l’instabilité. De plus, contrairement à ses voisins malien ou ivoirien, le Burkina Faso ne connaît pas de divisions régionales ou ethniques susceptibles de précipiter le pays sur la voie de la guerre civile.

Les évènements de ces derniers jours dépassent largement le seul cadre du Burkina Faso. L’insurrection populaire des Burkinabè envoie un signal fort à l’ensemble du continent africain, à sa jeunesse en quête de démocratie, et surtout à tous ces dirigeants qui, comme Blaise Compaoré, rechignent à quitter le pouvoir lorsque leurs États n’ont plus besoin d’eux. Le temps où l’Ouganda du président Museveni modifiait sans broncher sa Constitution pour effacer la limite des deux mandats (2005) est désormais révolu. Du côté de Brazzaville (Congo), Kinshasa (RD Congo) ou Bujumbura (Burundi), les présidents Sassou-Nguesso, Kabila et Nkurunziza ont certainement regardé avec appréhension la chute de leur indéboulonnable collègue, tandis que la vindicte populaire contre les proches de Compaoré a sûrement fait réfléchir plus d’un parmi leur entourage. Une délégation du parti au pouvoir en RDC, présente à Ouagadougou cette semaine pour observer le vote par le Parlement de la révision constitutionnelle, s’est d’ailleurs retrouvée bloquée dans la capitale du fait des manifestations ; espérons qu’une fois de retour à Kinshasa, ils retiendront les enseignements de leur visite en terre burkinabè… 

Vincent Rouget

L’Afrique francophone est-elle moins propice aux affaires que l’Afrique anglophone ?

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L’Afrique francophone est-elle moins propice aux affaires que l’Afrique anglophone ?

Dans le classement Doing Business 2015, révélé hier, l’Afrique, comme à son habitude, ne brille pas. Mais plus encore, les pays d’Afrique subsaharienne francophone font figure de derniers de la classe, derrière leurs camarades anglophones. Ainsi, si les pays d’Afrique subsaharienne anglophone sont représentés dans le classement, hors Afrique du Sud, dès la 46ème place grâce au Rwanda, l’Afrique francophone fait une apparition bien moins glorieuse à la 144ème place seulement, avec le Gabon. Le classement des autres pays francophones s’inscrit dans cette lignée, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin, le Cameroun, le Sénégal, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée, la Mauritanie, le Congo, la République Démocratique du Congo, le Tchad et la République Centrafricaine étant classés entre les 146ème et 187ème places. L’Afrique anglophone s’en sort mieux avec déjà une bonne dizaine de pays classés avant le Gabon, premier au classement des pays francophones.

Inévitablement, on s’interroge sur les raisons d’un tel écart : qu’est-ce qui explique que le climat des affaires des pays d’Afrique anglophone soit généralement considéré comme plus sain par les acteurs du projet Doing Business ?

Vous avez dit Doing business ?

L’indice de facilité de faire des affaires ou Ease of Doing Business en Anglais a été mis en place en 2002 par le groupe de la Banque Mondiale. Il a pour objet de mesurer la réglementation des affaires et son application effective dans les pays qui font l’objet d’études, afin de déterminer si l’environnement réglementaire de ces pays est propice aux affaires des petites et moyennes entreprises. Pour établir ce classement, le groupe s’appuie sur des avis d’autorités publiques, d’universitaires, de praticiens et d’observateurs. Le classement 2015 a été établi sur 189 pays et s’est appuyé sur dix critères: la création d’entreprise, l’octroi de permis de construire, le raccordement à l’électricité, le transfert de propriété, l’obtention de prêts, la protection des investisseurs minoritaires, le paiement des taxes et impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution de contrats et le règlement de l’insolvabilité.

Ce classement a un réel impact : il remplit non seulement un rôle d’information auprès des investisseurs, mais instaure également une concurrence stimulante entre les États objets du classement ; il a ainsi inspiré aux gouvernements de ces pays d’importantes réformes ambitionnant d’améliorer le climat des affaires dans leurs États.

Dans ce contexte, on peut aisément expliquer que l’Afrique en général ne figure pas en pole position : elle n’est pas connue comme un berceau du capitalisme. Mais comment expliquer une telle disparité entre les pays d’Afrique subsaharienne anglophone et ceux d’Afrique subsaharienne francophone ?

Une question de stabilité politique ?

Hormis l’Afrique du Sud, tous les pays d’Afrique francophone et anglophone ont été colonisés par le Royaume-Uni, la France ou la Belgique. Tous ont accédé à l’indépendance dans les années 1960, et ni les uns, ni les autres n’ont fait preuve d’une stabilité politique exemplaire ; des dictatures flamboyantes se sont illustrées dans une catégorie comme dans l’autre, et le Rwanda, qui se situe à l’honorable place 46, a connu une crise politique sans précédent dans les années 1990. Il n’y a donc pas de différence notoire en termes de solidité des institutions politiques des pays d’Afrique francophone ou anglophone.

Une question de corruption ?

Ce n’est pas nouveau : l’Afrique est minée par la corruption, et le moindre service requérant l’intervention d’une émanation de l’Etat, que ce soit du gouvernement lui-même ou un simple agent d’administration publique est complexifié par la volonté de ces intervenants d’en tirer un bénéfice (monétaire) personnel. Les acteurs des affaires en Afrique sont confrontés à ces problèmes dans tous les pays et l’on ne pourra raisonnablement affirmer qu’il y ait plus de corruption en Afrique francophone qu’anglophone.

Une question de tradition juridique ?

A l’indépendance, les Etats d’Afrique se sont inspirés de leurs anciens colonisateurs pour établir leur système politique et juridique : ainsi, les pays francophones sont plus influencés par la tradition du droit écrit français ou belge tandis que les pays anglophones sont influencés par celle du Common Law, qui est réputée plus souple et moins formaliste. Ajoutons à cela que des corps de règles archaïques et peu adaptés au fonctionnement des affaires sont parfois toujours en vigueur dans les pays francophones.

La situation s’est tout de même nettement améliorée depuis la création en 1997 de l’Organisation pour l’Harmonisation du droit des Affaires en Afrique (OHADA), qui réunit 17 Etats (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo) et qui édicte des Actes uniformes directement applicables dans ses Etats membres instituant ainsi un droit harmonisé dans différents domaines, tels que le droit commercial général, le droit des sociétés, le droit des sûretés ou encore les procédures de recouvrement et voies d’exécution. Ce droit est également fortement inspiré du droit français, mais, bien qu’il apporte d’indéniables améliorations, il comporte un formalisme qui peut se révéler contraignant.

Par exemple, en droit des sociétés : jusqu’à la réforme intervenue en janvier 2014, il était impossible pour une entreprise de tenir une assemblée générale ou un conseil d’administration à distance dans les pays d’Afrique francophone : toutes les réunions devaient être physiques ce qui est extrêmement contraignant pour les entreprises tournées vers l’international et dont les acteurs sont localisés dans différents pays, et qui ne favorise pas la prise de décision rapide. Dans la plupart des pays anglophones, il est depuis longtemps possible de tenir des réunions à distance en utilisant les moyens de télécommunication existants tels que la conférence téléphonique ou la visioconférence.

Le cadre réglementaire plus souple des pays anglophones explique donc certainement leur meilleur positionnement dans le classement Doing Business.

Une question de dynamisme législatif ?

Le Rwanda, premier de la classe, a récemment entrepris des réformes dans huit des domaines couverts par l’indicateur Doing Business : les pays d’Afrique anglophone feraient preuve d’un plus grand dynamisme législatif ; mais le fait est qu’en Afrique francophone le droit des affaires est un droit harmonisé dans de nombreux domaines dans le cadre de l’OHADA, et que des réformes d’envergure sont plus complexes à mettre en place lorsque plusieurs Etats membres doivent parvenir à un accord ; on ne peut néanmoins que saluer l’existence d’un droit régional qui ne peut que contribuer à la sécurisation du climat des affaires. D’ailleurs, dans le classement 2014, l’Afrique francophone n’apparaissait qu’à partir de la 154ème place, et plus généralement, on observe une domination moins forte des pays anglophones ; il y a donc du progrès, et la récente réforme OHADA y est certainement pour quelque chose. 

Mali : Pourparlers d’Alger, l’éternel recommencement ?

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Eu égard aux nombreux accords de paix peu fructueux, précédemment conclus entre les mouvements armés touaregs et l'État malien, on est en droit de se demander si les négociations qui se déroulent actuellement à Alger ne sont pas rien d’autre que la suite d’une longue série de désillusions.

Les discussions ont été planifiées en trois phases : après l’adoption en juillet d’une feuille de route sur le déroulement des négociations, les deux parties discutent actuellement sur les questions de fond en vue d’un  pré-accord, supposé déboucher sur la signature d’un accord final. Entamées dès la mi-juillet, à ce jour, les négociations n’ont produit aucun accord définitif. On pourrait cependant estimer qu’elles semblent être parties pour durer, dans la mesure où il existe une profonde dissension entre  les groupes touaregs présents à Alger.

Le 4 juillet 2006, des accords de paix avaient déjà été conclus entre l’État malien, et l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC, un groupe armé touareg). Ces accords faisaient suite au soulèvement armé du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka. L'histoire nous enseigne que sceller des accords sur des bases fragiles n’est guère la garantie d’une paix durable.

Les circonstances des pourparlers de 2014 diffèrent largement de celles de 2006 sur plusieurs points. Dans la démarche, on s’aperçoit que les représentants des populations de l’ensemble du Nord-Mali, et pas seulement touarègues sont associés aux discussions en cours. La question est de savoir si elles seront entendues. Pendant ce temps, des populations de Gao et Tombouctou continuent de manifester pour exiger leur attachement à la République du Mali.  Le Collectif des ressortissants du Nord (COREN), présent à Bamako, enchaine également les manifestations pour s’opposer à ce que les groupes armés négocient au nom de toutes les composantes du Nord-Mali. 

En 2006, l'État malien était en position de force face aux interlocuteurs touareg. Pendant les discussions, il continuait d’assoir son autorité sur la zone disputée. En 2014, la région de Kidal (principal fief touareg) est dépourvue de toute présence de l’Etat du Mali. L’autorité des groupes armés touaregs s’affirme d’autant plus que l’armée malienne a essuyé une défaite cuisante lors de sa tentative d’accaparement de Kidal. Cela peut laisser croire que Kidal, quelle que soit l’issue des pourparlers d’Alger, restera aux mains des rebelles  touareg. En mai, le Premier ministre malien Moussa Mara avait été sommé par les rebelles touaregs de renoncer à sa visite à Kidal. N’ayant pas été dissuadé par cette mise en garde, sa visite forcée a donné lieu à un violent affrontement qui a causé la mort de plusieurs personnes dans le camp gouvernemental.

Dans le processus du dialogue, le président malien Ibrahim Boubacar Kéita se trouve dans une situation très inconfortable. On se souvient qu’il a dû recourir à la Cour constitutionnelle du Mali pour s’opposer aux accords d’Alger de 2006. En effet, son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), les avait simplement rejetés, estimant qu’ils étaient trop onéreux au profit des groupes touaregs et dommageables pour l’Etat malien. Au vu de ses propos antérieurs et aux agissements qui en ont découlé,  il est contraint de faire montre d’une attitude de fermeté à l’égard des revendications touareg. Les négociations pourraient donc en pâtir.

La première défaite du président malien porte sur le lieu des discussions. Il avait exigé qu’elles se tiennent au Mali et nulle part ailleurs, du fait de leur caractère inter-malien. Les protagonistes touaregs, s’y étant opposés, ont fini par obtenir qu’elles aient lieu à Alger.

La situation demeure plus que jamais complexe car d’une part, les mouvements touaregs sont scindés en plusieurs groupes (le MNLA, le MAA et le HCUA), avec des revendications parfois divergentes. D’autre part, les décisions communes approuvées par certains représentants politiques présents à Alger sont rejetées par leurs bases militaires à Kidal. C’est le cas du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) dont le coordinateur militaire présent à Targuent (près de Gao) disait que « ceux qui ont signé le pré-accord avec le gouvernement malien, ne représentent pas le MAA, et ne sont que des imposteurs qui ont quitté le mouvement pour rejoindre le MNLA ».

A ce sujet, lors de sa rencontre du 6 octobre 2014 avec les diplomates accrédités au Mali, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, de retour d’Alger, confiait ainsi que certains groupes armés touareg ont refusé de s’asseoir à la même table de négociations que d’autres groupes, accusés d’être proches des autorités maliennes.

Les différences sont marquantes et les positions semblent figées. L’État  malien estime non-négociable le projet de fédéralisme exprimé par les groupes touareg. Étant donné la position de force des groupes armés touareg, l’attachement d’une grande partie de la population septentrionale à la République du Mali et  la marge de manœuvre relativement étroite du gouvernement du Mali, on peut estimer qu’à défaut d’une indépendance ou d’un fédéralisme, on s’achemine timidement vers l’attribution d’un statut particulier au nord du Mali, qui accorderait plus d’autonomie à cette partie du pays. Cela devrait nécessairement donner lieu à une réorganisation administrative du Mali.

L’avantage à tirer des échecs antérieurs est de situer clairement les dysfonctionnements qui ont causé les résurgences incessantes des rebellions touarègues, et d’y remédier afin de bâtir une paix réellement durable.

Parallèlement à l’aspect politique, il est important que justice soit rendue aux victimes d’exactions, car il serait contre-productif d’envisager une réconciliation en ignorant l’étape de la justice.

Il est extrêmement important pour l’État malien que les groupes touareg parlent d’une seule voix. Lors des précédentes rebellions, les accords conclus n’ont jamais été acceptés à l’unanimité par les différents mouvements. Il n’est donc guère étonnant de voir les réfractaires aux accords de paix reprendre les armes. Si leur efficacité est prouvée sur le terrain militaire, les groupes touareg sont caractérisés par le flou et l’incohérence politique. Concernant leurs rapports, ils sont fragmentés et n’ont su présenter aucunes revendications communes. Quant à leurs exigences, on ignore jusque-là ce que recouvrent véritablement les notions d’indépendance, de fédéralisme ou encore d’autodétermination parfois revendiquées.

Dans la formulation des propositions, l’Etat malien devrait d’une part s’abstenir de toute concession au-delà du raisonnable. Dans le cadre de l’exécution des accords d'Alger  pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, signés en 2006, des combattants touareg intègrent l’armée nationale malienne, et sont autorisés à rester dans leur zone. Leur défection de l’armée, et leur ralliement au MNLA, pendant les dernières hostilités en 2012, a été un important facteur dans la chute du Nord-Mali.

D’autre part le gouvernement malien ne devrait formuler aucun engagement qui serait difficilement applicable. Antérieurement, la non-exécution des accords de paix a aussi servi d’alibi aux groupes touareg dans l’enclenchement des hostilités les opposant à l’État du Mali.

Le droit bancaire en Afrique : quels enjeux, quel dynamisme ?

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On pointe souvent du doigt le règne de la finance, sans partage et sans merci. Qu’en est-il en Afrique, et plus précisément du point de vue de la réglementation bancaire ? Car si l’on peut se plaindre de l’obsolescence des nombreuses règles restées inchangées ou presque depuis leur mise en place lors de la décolonisation, voire avant, force est de constater que la réglementation bancaire est un droit vivant.

Qu’est-ce le droit bancaire ?

Le droit bancaire est celui qui régit essentiellement l’activité des établissements de crédit et les opérations de banque, et dont le but est d’assurer la stabilité monétaire de son territoire d’applicabilité.

Quels acteurs ?

La mise en œuvre de ce droit est assurée par des organes régulateurs, les banques centrales, qui existent à l’échelle nationale ou régionale depuis les indépendances des années 1960. On peut ainsi citer à titre d’exemples la Banque Centrale du Congo ou la Banque de Tanzanie (Bank of Tanzania), créées respectivement en 1961 et 1965. A plus grande échelle existe l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), descendante de l’UMOA elle–même créée en 1962, et qui réunit le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, et dont l’organe régulateur est la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Existe également la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), qui réunit le Tchad, la Centrafrique, le Cameroun, la Guinée-Equatoriale, le Gabon ainsi que le Congo et a pour organe régulateur la Commission bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). Du côté de l’Afrique anglophone, a été annoncée, fin 2013, la création d’une union monétaire est-africaine réunissant le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda, projet qu’il reste à concrétiser.

Quelles sources ?

Les organismes de régulation bancaire sont généralement régis par une ou plusieurs lois qui elles-mêmes donnent autorité aux banques centrales pour édicter des textes réglementaires plus précis. Les banques centrales jouent donc un rôle primordial dans l’édiction du droit bancaire, et l’on observe un réel dynamisme de leur part dans ce domaine, avec la publication régulière d’instructions ou de communications.

Quelle communication ?

Un élément frappant qui doit être relevé à propos du droit bancaire en Afrique est son accessibilité. Tous les praticiens du droit vous parleront de la difficulté de trouver des sources de droit africain: les sites internet gouvernementaux sont souvent laissés à l’abandon et trouver un texte officiel peut relever du parcours du combattant. En revanche, les Banques Centrales nationales et régionales disposent quasiment toutes d’un site internet nourri de toute la réglementation bancaire existante et mis à jour régulièrement.

Quel rôle ?

Au-delà du pouvoir de création du droit évoqué plus haut, les banques centrales veillent à son application. Elles contrôlent donc de près l’installation et l’activité des banques de leur territoire de compétence. Ainsi, lorsqu’une banque souhaite s’implanter, l’organisme régulateur local vérifie que la forme juridique qu’elle compte emprunter est conforme à celle imposée par la loi bancaire. Il s’assure également que le capital social du futur établissement financier est au moins égal au capital social minimum fixé par la loi, qui impose également une proportion minimale de fonds propres.

Les banques centrales étudient minutieusement le plan d’affaires établi par les futurs actionnaires et la viabilité du projet. En outre, les actionnaires eux-mêmes doivent fournir un certain nombre de garanties démontrant leur sérieux, et des documents sociaux tels que leurs statuts ou leurs extraits de registre de commerce leur sont réclamés à cet effet. Ce n’est qu’après de longs mois que les candidats à l’implantation dans le paysage bancaire obtiendront leur agrément.

Du point de vue de la gouvernance, les administrateurs des institutions bancaires et parfois les membres des organes exécutifs doivent, outre leur irréprochabilité d’un point de vue pénal (ici les infractions financières sont particulièrement visées), répondre à des conditions de niveau académique et d’expérience. Leur sont ainsi toujours demandés au moins un extrait de casier judiciaire, une copie de leurs diplômes et un curriculum vitae. Ainsi, en cours de vie sociale, les membres des organes dirigeants ne peuvent être nommés sans avoir obtenu l’approbation préalable de la banque centrale. Ce processus prend parfois plusieurs mois, délai peu adapté au rythme des affaires.

Ces délais se révèlent encore plus contraignants s’agissant des transactions affectant significativement la situation financière des établissements de crédit: ainsi les augmentations ou diminutions de capital social, fusions ou scissions ou dissolutions anticipées sont soumises à l’autorisation préalable de l’organisme régulateur. Le contrôle s’effectue également au niveau comptable : les établissements financiers doivent en effet tenir à leur siège social une compatibilité établie selon des modèles fournis par les banques centrales, qui fixent également les dates de début et de fin de l’exercice comptable. Chaque année, les banques doivent leur communiquer les comptes annuels de leurs établissements.

Les banques centrales ont à ce titre un droit de regard sur les commissaires aux comptes choisis, qui soit figurent sur une liste de personnes agréées, soit font l’objet d’un agrément préalable au même titre que les organes dirigeants.

Quelles sanctions ?

Les banques centrales sont des organes régulateurs mais il arrive souvent qu’elles aient la possibilité, au-delà de leur pouvoir disciplinaire qui se traduit par des sanctions financières, d’édicter des sanctions pénales qui peuvent aller de simples amendes, plus ou moins lourdes, à des peines d’emprisonnement.

Quelle réception ?

Il est intéressant de noter que la plupart des banques qui s’implantent en Afrique sont les filiales de grandes banques occidentales, donc habituées aux contraintes réglementaires. Elles s’y plient donc sans difficulté, et posent régulièrement questions aux banques centrales ; ce faisant elles participent sans doute à la vivacité de la réglementation bancaire africaine.

Quelle efficacité ?

Le grand public africain recourt de plus en plus à des banques de particuliers pour déposer ses fonds. Il est donc nécessaire que cet argent soit en sécurité, que les banques où il dort ne soient pas menacées de faillite et que les particuliers puissent avoir confiance en ces banques, banques qui par ailleurs, en disposant des fonds du public, participent activement au dynamisme de l’économie.

Les banques centrales contribuent à la solidité des acteurs du marché bancaire et ainsi à son dynamisme. Cependant, la lourdeur des procédures mises en place par les banques centrales et les délais qu’elles impliquent peuvent se révéler très contraignantes dans un contexte où les affaires n’attendent pas.

 

L’impossible indépendance des médias africains ? Le cas du Congo-Brazzaville

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Le Congo-Brazzaville est un pays emblématique de la fragilité des médias en Afrique Centrale. Depuis les années 1990 et le passage du pays au pluralisme politique après sa conférence souveraine, les médias sont eux aussi officiellement pluriels. Mais les difficultés structurelles qu’ils connaissent empêchent en pratique une réelle diversité et révèlent les limites de l’indépendance des journalistes vis-à-vis des responsables politiques dans un pays où les pouvoirs sont concentrés entre les mains de quelques-uns.

Un seul quotidien

Dans la presse écrite, les difficultés rencontrées quotidiennement par les journaux se démontrent par l’absurde. Il n’existe qu’un et unique quotidien au Congo, et il est entièrement acquis à la cause du président Denis Sassou Nguesso. Il s’agît des Dépêches de Brazzaville, nées en 1998 d’abord sous forme d’un mensuel en quadrichromie, puis transformées en hebdomadaire en 2004 puis quotidien en 2007. Le journal a été créé par Jean-Paul Pigasse, conseiller en communication du président congolais. Il est l’un des seuls à disposer d’une rédaction informatisée, pleinement organisée et d‘une imprimerie. Subventionné, lui seul peut offrir un contenu relativement accessible (200 FCFA) quand les autres journaux coûtent au minimum le double et ne reçoivent aucune aide de l’État.

Pour les autres titres, à l’instar d’autres journaux en Afrique et ailleurs, leur faiblesse originelle provient avant tout de leur extrême vulnérabilité économique. Dans la presse écrite, les intrants sont chers, particulièrement le papier, acheté en République démocratique du Congo, le pays voisin, et les coûts d’imprimerie élevés. À l’exception de deux journaux installés, les Dépêches de Brazzaville et le bi-hebdomadaire La Semaine Africaine, les autres (La Rue meurt, Tam-Tam d’Afrique…) paraissent extrêmement irrégulièrement, en fonction des aléas de leur situation économique tourmentée. Les journalistes y sont peu voire pas payés. Certes il existe officiellement une convention collective qui fixe un salaire minimum à 90 000 FCFA (137 euros) mais celle-ci est très rarement respectée.

Cette vulnérabilité économique a une influence directe sur les contenus. Elle explique en partie la confusion qui règne dans bien des titres entre articles de presse et publi-reportages qui figurent dans de nombreux médias sans être présentés en tant que tels. Les journaux étant trop fragiles, la publicité insuffisante et les ventes faibles (les tirages dépassent rarement 2 000 exemplaires), les journalistes sous-payés acceptent les pratiques appelées “camorra”, (coupage chez le voisin de RDC) : la retranscription d’un communiqué et d’un simple compte-rendu moyennant financement. La prime revient alors à celui qui a les moyens.

Les liaisons dangereuses entre politique et médias

De cette vulnérabilité économique découlent les autres difficultés, et notamment les liaisons dangereuses entre journalisme et politique. “Au Congo, la majorité des médias d’information sont les instruments de stratégies individuelles de conquête ou de conservation du pouvoir”, écrit la chercheuse Marie-Soleil Frère. Tandis que les médias publics relaient la parole officielle, les médias privés sont souvent la propriété de personnalités qui jouent un rôle direct dans le jeu politique congolais. Ainsi la chaîne de télévision DRTV appartient à un haut gradé congolais et proche du pouvoir, le général Nobert Dabira, MN TV à Maurice Nguesso le frère aîné du président, Top Tv à Claudia sa fille, et les journaux indépendants sont souvent de près ou de loin rattachés à tels ou tels partis ou responsables politiques… “De la même manière que le secteur devient plus dynamique, le volume de la propagande pro-gouvernementale augmente aussi dans les colonnes des journaux et sur les ondes. Une sorte de culte de la personnalité a trouvé racines partout dans les médias, affectant la crédibilité et le respect du public”, pouvait-on lire il y a quelques mois dans le baromètre des médias congolais, réalisé par la Fondation Friedrich Ebert en concertation avec des professionnels du pays.

Ce contexte de surpolitisation et d’individualisation des médias a plusieurs effets pervers. Il conduit certains journaux indépendants à se transformer en lieu des règlements de compte au sein du cénacle politique, relayant les rumeurs sur tels ou tels ministres, et privilégiant l’anathème à l’analyse à froid. Il empêche aussi une structuration de la profession, et la mise en place d’une solidarité professionnelle, pourtant indispensable dans les périodes les plus sensibles comme à l’approche d’échéances électorales. Cette coordination est d’autant plus importante, que la profession souffre, de l’avis des « anciens », d’un profond déficit de formation, dans un pays où les guerres civiles ont considérablement abimé le système éducatif.

Autre obstacle à l’indépendance de la presse, et il n’est pas anodin, les intimidations, qui interviennent notamment quand la situation politique se tend. C’est le cas ces dernières semaines avec le débat en cours sur la modification de la constitution, qui permettrait au président Sassou de briguer un troisième mandat. Deux journalistes ont récemment été expulsés : Sadio Kanté Morel (journaliste indépendante), le 22 septembre, et le Camerounais Elie Smith (MN TV) le 26 septembre ; ce dernier avait auparavant été agressé physiquement deux jours après avoir couvert un meeting de l’opposition.

En plus de ces violences directes, l’indépendance médiatique est de l’avis de nombreux journalistes limitée avant tout par l’autocensure. Dans un contexte de grande fragilité, pourquoi prendre le risque de se fâcher avec d’éventuels financeurs ou de voir menacer l’existence même de son titre. Même des journaux historiques, fiables et de référence comme La Semaine Africaine, bi-hebdomadaire né en 1954, adossé à l’Eglise catholique et à la conférence épiscopale, négocierait selon un rapport de l’Institut Panos, “une neutralité relative” en soutenant ponctuellement le régime pour éviter les ennuis, et assurer son existence. Mais dans un système politique ultra-pyramidal, comment échapper à cette tentation ?

Des esquisses de solutions ?

Devant un tel paysage, difficile d’entrevoir ne serait-ce qu’une esquisse de solutions. Au moins pourra-t-on citer des initiatives intéressantes qui tentent d’apporter chacune à leur manière une réponse à cette difficile équation.

Le manque de moyen inviterait d’abord à se tourner vers les bailleurs internationaux, ce qui nécessite là encore une coordination des acteurs pour proposer des projets consensuels et utiles, avec une dimension de formation dans la durée. Solliciter les bailleurs, dont les plus à l’écoute seraient sans doute les États-Unis ou l’Union européenne, notamment en période électorale. En RDC voisine, et dans un tout autre contexte, la Radio Okapi, avec les fonds de l’ONU, a prouvé qu’avec un budget conséquent (plusieurs millions de dollars) une antenne pouvait proposer une information indépendante et de qualité. Mais ce type d’aide a ses limites : que se passe-t-il quand le bailleur se retire ? Avec une difficulté supplémentaire pour le Congo-Brazza, pays stable et potentiellement riche : comment accéder à de tels financements, en général prioritairement adressés à des pays “plus en crise” ?

Soulignons aussi l’opportunité que peut représenter le numérique dans un pays où un entrepreneur, Vérone Mankou, revendique la création de la première tablette tactile africaine. Si le numérique est sans doute trop souvent présenté comme un totem qui résoudrait tous les problèmes, il présente au moins les avantages de faire baisser les coûts, très handicapants (mais pas d’augmenter les recettes…), et de favoriser une diffusion potentiellement plus grande. Au Congo, sur les réseaux sociaux, on constate, l’émergence d’une petite minorité brazzavilloise bruyante, qui relaie rapidement les informations, notamment auprès de la diaspora connectée, et pourrait jouer ce rôle de vigie, sans qu’il soit très facile d'évaluer son influence dans un pays où l’accès à Internet et l’utilisation des réseaux sociaux restent cantonnés à une élite.

Autre enjeu, échapper au champ du politique. Dans un système pyramidal, trouver sa place et son indépendance consiste peut être à quitter le seul domaine de l’information politique d’autant plus limité, que le débat politique congolais a perdu de sa crédibilité. Et de s’intéresser plutôt aux enjeux économiques et sociaux qui traversent la société congolaise.  Parmi les initiatives intéressantes, on peut citer le travail de l’association Syfia (http://syfia.over-blog.com), soutenue par l’Union Européenne, qui avec une équipe de journalistes travaille avec acharnement sur les questions des droits humains au Congo. Syfia joue le rôle d’une mini agence de presse et propose aux médias ses reportages sur les difficultés quotidiennes des citoyens souvent liées à des problématiques essentielles : la relation entre Bantous et populations autochtones (pygmées) par exemple, la place de la femme dans l’économie et la société ou la protection de l’environnement. En sortant à nouveau du champ politique proprement dit, tout récemment, on a vu aussi apparaître sur le net le portail "pureplayer" Ifrikiamag http://www.ifrikiamag.com, qui propose un contenu sociétal et culturel inventif et plein d’humour pour décrypter les clichés ou les travers de la société congolaise, et présenter quelques-uns des acteurs culturels du pays. Même des médias proches du giron présidentiel, quand ils diversifient leurs programmes et mettent l’accent sur des reportages et des sujets de société, se rapprochent des préoccupations et des attentes du public : on pourra citer ici le nouveau bi-mensuel Terrafrica ou la chaîne de télévision privée Equateur Service Télévision.

Certains regretteront peut être que les médias ainsi imaginés s’éloignent du débat politique en tant que tel en privilégiant la société et la culture. Mais ces dernières années, c’est surtout grâce aux artistes et à la vitalité de la scène culturelle congolaise (le dramaturge Dieudonné Niangouna, le danseur DelaVallet Bidiefono, les plasticiens Bill Kouélany et Gastineau Massamba…) qu’auront été disséqués les drames de l’histoire récente du Congo, et bien peu malheureusement grâce aux médias.

Faut-il des chefs d’Etats plus instruits en Afrique ?

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Les chefs d’Etats sont très souvent désignés comme responsables des performances économiques de leurs pays, car ce sont eux qui fixent les priorités en matière de politiques publiques et d’allocation des ressources financières publiques. Ce sont aussi eux qui signent les traités internationaux qui affectent la position relative de leurs pays par rapport au reste du monde. Une des raisons qui pourrait expliquer un lien entre le leadership politique d’un chef d’Etat et la performance économique de son pays pourrait être son niveau d’éducation. Si cela était vrai, alors l’Afrique serait le continent le mieux indiqué pour promouvoir l’accession au pouvoir de chefs d’Etats plus instruits. Cela tient du fait que jusqu’à une période très récente, c’est en Afrique qu’on trouve les chefs d’Etats les moins instruits, d’après le site internet Skyrill, qui recense le niveau d’éducation des leaders politiques à travers le monde. Mais comment sait-on si les performances économiques d’un pays dépendent de son chef d’État et plus particulièrement de son niveau d’éducation ?

C’est à cette question qu’ont répondu le chercheur Timothy Besley et ses coauteurs dans une étude publiée en 2011. De manière générale, les résultats de leurs travaux montrent qu’une partie de la croissance économique d’un pays est déterminé par le profil du chef d’État en exercice. Pour éviter que des chefs d’Etat spécifiques soient élus dans des conditions économiques particulières, ils étudient l’évolution de la croissance économique cinq années après le décès soudain d’un chef d’Etat dans plusieurs pays du monde. Ainsi, ils trouvent que la croissance économique est plus faible pendant les cinq années qui suivent la  mort inattendue d’un chef d’Etat.

Plus spécifiquement, cette baisse de la croissance économique diffère selon le profil du chef d’Etat, notamment son niveau d’éducation. En effet, Timothy Besley et ses coauteurs constatent que la baisse du taux de croissance suivant la mort d’un chef d’Etat est plus forte lorsque son niveau d’éducation est plus élevé, que ce soit un Master ou un Baccalauréat. Ainsi, le niveau d’éducation des chefs d’Etat est déterminant dans les performances économiques de leur pays. En particulier, l’étude montre que le passage d’un chef d’Etat ayant au moins un Master à un autre qui n’en possède pas fait baisser la croissance économique de 2.1 points en moyenne pendant les cinq années qui suivent cette transition.

Pour expliquer les mécanismes à la base d’un tel impact, d’autres chercheurs, notamment Luis Diaz-Serrano et Jessica Pérez ont examiné dans une étude publiée en 2013 le canal reliant le niveau d’éducation du chef de l’Etat à celui de la population. Comme on pouvait s’y attendre, l’exercice du pouvoir par un président plus instruit conduit à une nette augmentation du niveau d’éducation de la population. D’autres résultats indiquent que les dirigeants politiques ont tendance à mettre en place des politiques publiques qui correspondent à leurs propres préférences. C’est ainsi par exemple qu’en Inde, Chattopadhyay et Duflo trouvent que les élues féminines ont tendance à investir dans les infrastructures plus favorables aux femmes. De même, d’autres chercheurs trouvent que la mise en œuvre de réformes économiques favorables à la croissance et la maîtrise du taux d’inflation dépendent du niveau d’éducation des dirigeants politiques. Dès lors, l’impact du chef de l’Etat sur la croissance économique passe par l’alignement de ses choix de politiques publiques sur ses propres préférences qui dépendent en partie de son niveau d’éducation. Dans le cas de l’étude de Besley, c’est probablement la mise en œuvre de politiques efficaces qui est en jeu, car la période de cinq ans est assez courte pour que des investissements dans l’éducation puissent avoir un effet sur la croissance économique.

Dans le cas particulier de l’Afrique, les données ne permettent pas de vérifier si ces résultats s’appliquent effectivement au continent. D’un point de vue empirique, la situation est assez contrastée pour permettre de dégager des conclusions sans craindre que d’autres effets n’interagissent avec les observations. Dans certains pays par exemple, des docteurs en économie ou des professionnelles des questions de développement ont dirigés des Etats sans pour autant que les performances économiques n’aient été remarquables. Peut-être que la situation économique aurait été pire en leur absence ; nous en savons rien. Toutefois, les résultats de recherche présentés ci-dessous tiennent compte des différences entre les pays pour être applicables à l’Afrique.

Par conséquent, il faudra mettre en place des règles pour promouvoir l’exercice du pouvoir politique par des dirigeants bien instruits, idéalement ayant au moins un diplôme de Master ou équivalent. Une telle règle pourrait être par exemple que les candidats aux élections présidentielles, voire aux élections législatives, soient issus d’une primaire au sein de leurs partis politiques qui permettra d’abord de sélectionner le candidat le plus adapté aux attentes des populations avant même qu’il ne concoure à l’élection proprement dite. Si l’on considère le fait que l’Afrique a actuellement besoin d’augmenter sa croissance économique de 2 points pour doubler son PIB par tête en dix ans et réduire significativement la pauvreté, alors il importe surtout d’éviter le passage à des chefs d’Etats moins instruits que leurs prédécesseurs.

Georges Vivien Houngbonon

A la fête de l’Huma, une Afrique en lutte

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Noé Michalon revient dans cet article sur la fête de l’Humanité, organisée chaque année depuis 1930 à La Courneuve, en banlieue parisienne. La « fête de l’Huma » rassemble, le temps d’un week-end, divers groupements et associations de gauche autour d’évènements politiques et culturels. L’édition 2014 s’est tenue du 12 au 14 septembre.

 

Quelle nébuleuse que cette fête de l’Humanité ! En se promenant le long des allées aux noms de militants féministes, révolutionnaires, penseurs et pacifistes on pouvait remarquer, ce week-end du 12 au 14 septembre, une diversité incroyable des revendications affichées par différents groupes.

Croisant tantôt des étudiants, tantôt des nostalgiques de la guerre froide revêtant l’uniforme de l’Armée Rouge, tantôt des politiciens ou encore des bénévoles pour des associations, on serpente à La Courneuve jusqu’à atteindre Le Village du Monde. A l’instar du Forum Social Mondial, cette zone regroupe divers stands occupés par des militants de mouvements des quatre coins de la planète.

Au milieu de toutes ces revendications, les mouvements africains sont en bonne place. Purement nationaux pour certains ou à vocation panafricanistes pour d’autres, les stands d’Outre Méditerranée semblent avoir tenu leur objectif de rassembler et d’informer pendant ces trois jours intenses. Il faut parfois contourner une table d’objets d’art à vendre ou une cuisine entière d’où s’étend une file de chalands alléchés pour interroger les responsables de ces stands sur leurs revendications. Des revendications diverses et variées, qui ont en commun un certain panafricanisme.

Au premier stand que l’on voit, Togo Éducation et Culture, Koam Ata se refuse à entrer dans le débat politique, mais déplore cependant l’absence de liberté dans le pays. Il fait le constat d’une éducation publique délabrée, et se satisfait de la présence d’une plateforme panafricaine qui permette des discussions et des échanges. A quelques mètres, l’Union Malienne pour le Rassemblement Démocratique Africain (Um-RDA) tient un stand animé. Au niveau des revendications, Moussa Diarra, qui représente le parti politique, souhaite « une amélioration des relations avec la France », constatant qu’une paix durable n’est pas revenue dans le nord du pays, et qu’après « l’intervention salutaire de la France au Mali, beaucoup de questions se posent au niveau du long terme ».

Il ne faut pas marcher plus loin pour tomber sur Jean Claude Rabeherifara, qui préside l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA) qui milite depuis sa création à la Fête de l’Huma. Un combat anticolonialiste doublé d’une dénonciation du rapport d’exploitation de la France vis-à-vis des pays africains. Il met en avant la tâche pédagogique qui est la leur : « l’AFASPA n’est pas une association humanitaire, mais un mouvement qui dénonce les dictatures et le pillage. »

Le Sénégal est vastement représenté. L’association Diapo, qui vient d’accueillir Yen A Marre à son stand, a pour objectif de fonder des écoles de formation dans les secteurs du tourisme et de la restauration au Sénégal. A la table de l’association Xam Xamle (savoir et faire savoir en wolof), présent pour sa troisième Fête de l’Humanité, Mamadou Ba se distingue de la politique et présente son action principale : convaincre les jeunes Sénégalais de ne pas immigrer clandestinement vers l’Europe. « Ce n’est pas l’Eldorado que vous croyez », voilà ce que répètent Mamadou Ba et le reste de l’équipe de l’association à ces dizaines de jeunes qui risquent – et perdent parfois – leur vie pour s’embarquer vers un avenir parfois fantasmé.

Le soleil se lève sur le stand rwandais où affluent les visiteurs, accueillis par Marcel Kabanda, président de l’Association Ibuka France. Ibuka, souviens-toi en kinyarwanda. Un nom qui n’est pas choisi au hasard, et qui fait référence au génocide de 1994 dont on commémore les 20 ans cette année. « La fête de l’Humanité représente l’humanité. Le génocide rwandais est une blessure à cette humanité, explique M. Kabanda, il est donc normal que nous soyons présents ici, pour redonner espoir, pour dire que nous avons tous la responsabilité de protéger les autres ». Si la paix et le développement semblent être revenus, « il ne faut pas sous-estimer la profondeur de la blessure qu’a laissée ce génocide », termine notre interlocuteur.

Au bout d’une de ces rues éphémères, l’Observatoire pour le Respect des Droits Humains à Djibouti (ORDHD) sensibilise le public aux nombreux manquements démocratiques du pouvoir en place. « Djibouti, petit pays, est gouverné par un dictateur. On y arrête les opposants et on les torture, dénonce un responsable, nous luttons contre ces pratiques et pour les droits d’un prisonnier de l’opposition emprisonné depuis juin 2010 et victime de tortures ».

L’Afrique centrale aussi a son mot à dire. Dans un stand verdoyant, François Passema, qui préside le Comité d’Action pour la Conquête de la Démocratie en Centrafrique (CACDCA), déplore le chaos qui règne dans son pays. « Mon peuple n’a jamais eu le privilège d’avoir un État. Livré à lui-même, il subit des exactions de toute sorte. L’armée française est intervenue sur place, et apparemment, il ne se passe pas grand-chose. Les populations vivent toujours terrées en brousse comme des animaux, des massacres ont toujours lieu, et le problème n’est toujours pas réglé. » Il se montre également très critique envers la présidente actuelle, Catherine Samba Panza, « l’incarnation de la négation, qui n’a aucune autorité sur rien ». Quant à ses prédécesseurs, Michel Djotodia et François Bozizé, ils ne sont pour notre interlocuteur « que des criminels de guerre que la France aurait dû déférer devant la Cour Pénale Internationale ». Son résumé de ce qu’est la Fête de l’Huma est pertinent : un lieu festif, mais aussi un lieu de luttes.

Sous le chapiteau de la plateforme panafricaine, après un débat sur les changements des constitutions en Afrique, Antoine Kivulu Kianganzi, président de Kimpwanza, mouvement politique congolais, s’attaque à « la dictature du général Denis Sassou Nguesso, qui veut rester au pouvoir à vis » (sic). Un régime qu’il met au même niveau que celui au pouvoir au Burkina Faso, en République Démocratique du Congo ou encore au Togo, « qui ont tous le soutien du pouvoir français ». Lorsqu’on l’interroge sur les moyens qu’il préconiserait pour sortir ces pays de cette situation, il ne mâche pas ses mots : « nous attendons le printemps africain. En 1991, nous avons connu un premier printemps noir avec les conférences nationales souveraines suite à la conférence de La Baule. Si nous avons réussi à le faire en 1991, pourquoi pas aujourd’hui ? »

Mathilde Thépault, trésorière de la Plateforme Panafricaine et présidente de l’Association Halte aux Génocides – Mémoire et Justice, reprend son souffle après une longue intervention suite au même débat. Franco-ivoirienne, elle dresse un portrait au vitriol du pouvoir en place en Côte d’Ivoire, trois ans après la prise en main des rênes du pays par Alassane Ouattara : « On nous parle de croissance à double chiffres, mais ce n’est pas ce que voit la population au quotidien. Des mercenaires armés venus pendant la guerre ne sont toujours pas revenus et font planer l’insécurité dans le pays. » Elle évoque même un « désastre humain » et déplore le rôle de la France : « c’est Hollande qui a aujourd’hui le pouvoir en Côte d’Ivoire, pas Ouattara ».

Mais l’Afrique sub-saharienne est loin d’être la seule représentée dans ce village du monde qui ressemble plus à une ville : on sillonne les stands de partis socialistes et communistes d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. A quelques mètres Ahmed Sidati, membre du Mouvement de Libération Nationale du Sahara Occidental, le fameux Front Polisario, cherche à sensibiliser les nombreux passants à la lutte pour l’émancipation de la nation sahraouie qui dure depuis plusieurs décennies. « Le Sahara Occidental est une ancienne colonie espagnole illégalement occupée par le Maroc, déclare-t-il, et conformément à la charte des Nations Unies, nous revendiquons notre indépendance. » Les visiteurs défilent en grand nombre, et pas uniquement pour goûter aux délices de la cuisine sahraouie : par petits groupes, les discussions s’engagent et les témoignages affluent.

On sort de ce village avec les tympans qui bourdonnent. L’Afrique frémit de dizaines de luttes. Des luttes qui ne sont pas sourdes, des luttes qui dialoguent, mais des luttes difficiles à fédérer car parfois divergentes. A l’image de la gauche dont la Fête de l’Huma est le rendez-vous, on navigue d’un stand à l’autre du modéré à l’extrême, de l’espoir à la désillusion. Si l’on peut adhérer ou non aux idées présentées, il y a cependant de quoi se satisfaire d’une chose importante : au vu de la forte affluence du week-end, des milliers de personnes ont pu avoir grâce à ce fourmillement intellectuel une image tout autre du continent africain. Une impression de mouvement et de prise en main d’un destin commun de l’Afrique qui tranche avec les idées reçues. Et c’est bien là l’essentiel.

Noé MICHALON

Quel bilan pour l’intégration régionale en Afrique ?

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Depuis les années 1990, à la faveur d’un nouveau contexte international marqué par la fin de la Guerre froide et l’avènement d’une économie mondialisée, la régionalisation est en vogue sur le continent africain. Les chefs d’État africains, prenant conscience de l’intérêt de se réunir au sein d’entités économiques plus grandes, ont multiplié leurs efforts pour créer des communautés régionales. Des organisations régionales moribondes ont été revitalisées par de nouveaux traités plus ambitieux, comme la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 1993 ; d’autres ont vu le jour, comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) dans la Corne de l’Afrique en 1996.  

Aujourd’hui, les avancées de l’intégration régionale alimentent le discours sur une Afrique émergente, en plein éveil. Quelles formes prennent la régionalisation en Afrique, et quelle est sa portée réelle, à la fois sur le plan économique et sur le plan politique ?

Les formes de la régionalisation

L’Union africaine (UA) supervise le processus d’intégration régionale au niveau continental, avec pour ambition de former une Communauté économique africaine à l’horizon 2028. Les communautés économiques régionales (CER) ont un rôle fondamental à jouer: huit d’entre elles ont été identifiées par l’UA comme les piliers de l’intégration régionale. 

Aujourd’hui, l’intégration au-delà du domaine économique et la création d’une union politique restent un horizon lointain. C’est par le marché que les États africains cherchent à réaliser l’intégration : la formation d’ensembles économiques plus puissants et la réduction du coût des échanges transfrontaliers sont les priorités des communautés régionales. La régionalisation en Afrique est avant tout une régionalisation économique. Elle vise la libéralisation du commerce des biens, avec un modèle d’intégration largement inspiré de l’expérience européenne : l’intégration est envisagée comme une progression pas à pas, de la création d’une zone de libre-échange à la formation, à terme, d’une union économique et monétaire. Si certaines organisations accordent une plus grande attention aux questions politiques, c’est souvent parce qu’elles y ont été contraintes : la CEDEAO a dû faire face à de nombreuses crises politiques et a développé en réponse à celles-ci des mécanismes innovants de prévention des conflits et de promotion de la bonne gouvernance.

Quels résultats ?

Plusieurs initiatives prometteuses ont été mises en œuvre depuis le début des années 2000, mais les progrès sont disparates. À l’heure actuelle, la Communauté d’Afrique de l’Est est l’organisation régionale la plus avancée, avec un marché commun établi depuis juillet 2010. La CEDEAO est plus en retard sur le plan économique : l’union douanière n’est envisagée que pour 2015, et l’objectif de lancer une monnaie unique en 2020 paraît difficilement tenable. En Afrique centrale, l’intégration économique en est encore à ses balbutiements. Des avancées ont également été enregistrées dans le sens d’une plus grande liberté de circulation des personnes : la CEDEAO délivre désormais un passeport commun pour faciliter les voyages intra-régionaux. Les États africains progressent aussi dans le sens d’une meilleure coordination de leurs politiques sectorielles (électricité, eau, transports…). Enfin, certaines organisations ont initié des projets d’infrastructure majeurs: un exemple phare est la construction du port de Lamu, au Kenya, et du corridor de transport Lamu-Sud-Soudan-Éthiopie avec le soutien de la Communauté d’Afrique de l’Est. 

Le bilan économique de l’intégration reste mitigé. Le volume du commerce intra-africain a constamment augmenté au cours des vingt dernières années, mais ne représente toujours que  12% du commerce total en Afrique (contre 60% pour l’Union européenne). Au sein de la CEEAC, les exportations intra-régionales ne dépassent pas 0,8%, ce qui témoigne d’une intégration quasi-inexistante. Plusieurs obstacles, comme le manque d’infrastructures, la lourdeur des procédures administratives et des contrôles aux frontières ainsi que la corruption continuent de s’opposer à une meilleure intégration des économies africaines, et méritent plus d’attention de la part des communautés régionales.

L’intégration politique : la longue marche vers la supranationalité…

La politique en Afrique se joue désormais, plus qu’auparavant, à un niveau régional. Mais l’impact des organisations régionales sur l’exercice du pouvoir et l’organisation politique du continent africain reste relativement limité. Certaines organisations ont fait preuve de volontarisme pour s’attaquer aux crises politiques dans leurs régions. La CEDEAO s’est ainsi distinguée par son activisme face aux conflits armés et aux coups d’État en Afrique de l’Ouest. Elle fait régulièrement appel à des hautes personnalités ouest-africaines comme Blaise Compaoré ou Olusegun Obasanjo pour  des missions de médiation, et  dispose même d’une composante militaire (l’ECOMOG, devenue Force en attente), qu’elle a déployé au Libéria et en Sierra Leone dans les années 1990, ou plus récemment au Mali. 

Au fil des interventions, les communautés régionales et l’Union africaine ont progressivement rompu avec la norme de non-ingérence qui régulait les relations entre États africains depuis les indépendances. Les organisations régionales revendiquent maintenant un droit d’intervention dans les affaires politiques intérieures. La CEDEAO ou la SADC n’ont pas hésité à brandir la menace de sanctions contre les juntes militaires au Mali, en Guinée ou à Madagascar. Des textes régionaux, comme le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, contribuent également à diffuser un ensemble de normes, qui délimitent les contours de l’acceptable et orientent l’exercice du pouvoir. La contribution des organisations régionales à la démocratisation doit cependant être nuancée : comme les dirigeants nationaux conservent la main haute dans les instances de décision, elles restent très timides lorsqu’il s’agit de dénoncer des cas de fraude électorale ou de répression policière organisée par les États. 

La régionalisation, dans sa forme actuelle, ne représente pas un tournant majeur dans l’organisation politique du continent. La supranationalité est encore embryonnaire: les intérêts des États – voire même des régimes en place – restent prédominants, et les organisations régionales ne sont pas encore perçues comme des entités légitimes pour imposer leurs propres règles. L’intégration régionale en Afrique continue aussi de souffrir de la fragilité des États et de leur hétérogénéité. L’Afrique de l’Ouest qui veut s’unir, c’est aussi bien le Ghana anglophone, aux  alternances démocratiques réussies, que la Guinée-Bissau lusophone, où les coups d’État sont récurrents. La SADC, c’est aussi bien le Botswana, cinquante ans de développement économique, et démocratique, que le Zimbabwe, à peine remis d’une grave crise économique provoquée par un régime décadent. Le dynamisme économique du Kenya et de l’Ouganda a favorisé l’intégration est-africaine, mais généralement les organisations régionales africaines manquent de pays moteurs, capables d’insuffler une véritable dynamique d‘intégration, à l’instar du « couple franco-allemand » dans l’Union européenne. La régionalisation en Afrique centrale pâtit du manque de stabilité en République démocratique du Congo. Au sein de la CEDEAO, le poids lourd démographique, politique et militaire qu’est le Nigeria doit faire face à des défis internes importants, qui l’empêchent de jouer un rôle moteur au niveau régional. La région compte certes des États stables et économiquement performants (comme le Cap-Vert ou le Ghana), mais ceux-ci sont soit trop faibles soit pas assez volontaristes pour dynamiser et orienter le processus d’intégration.  

Vers une régionalisation par le bas ? 

Si l’idéal panafricain continue d’avoir un appel certain, il peine à se manifester dans la configuration actuelle des organisations régionales, construites sans engouement populaire. Aucune organisation régionale n’est aujourd’hui le vecteur d’un projet populaire d’union politique africaine, puisqu’elles se focalisent en premier lieu sur l’intégration économique. Le régionalisme en Afrique souffre également d’une absence de personnalités d’envergure régionale, capables de donner corps et voix au projet d’intégration. Les commissaires de la CEDEAO ou de la CEEAC sont des anonymes, qui n’existent qu’à l’arrière-plan de chefs d’États dominants. Ces organisations ont pris conscience de leur manque de légitimité, et tentent aujourd’hui de se rapprocher des populations africaines en adoptant un message plus populaire. La Vision 2020 de la CEDEAO prévoit ainsi de faire évoluer l’organisation en une « CEDEAO des peuples ». 

Au-delà des initiatives d’intégration formelles, la régionalisation informelle est une réalité trop souvent négligée. Les échanges transfrontaliers informels jouent un rôle majeur et sont porteurs d’une régionalisation « par le bas ».  Qu’il s’agisse de la région des Grands Lacs ou de la frontière Niger/Nigeria/Bénin, ces flux informels de marchandises, d’hommes et de  capitaux créent des bassins économiques intégrés, et donnent naissance à des micro-régionalismes transfrontaliers. Les organisations régionales doivent reconnaître cette régionalisation par le bas et à lui faire une place dans leurs stratégies d’intégration. Sa prise en compte est la clé d’une régionalisation inclusive, productrice de richesses et de sécurité.

 

1914-1918 : Ces soldats venus d’Afrique

JPG_Tirailleurssénégalais060814L’année 2014 est marquée par le centenaire du début de la Première Guerre mondiale : le 3 août 1914, l’Allemagne déclarait la guerre à la France, déclenchant un conflit armé qui devait durer quatre années. Alors que les présidents français et allemand ont ouvert les cérémonies de commémoration de cette Grande Guerre dimanche dernier, il semble utile de rappeler le rôle non négligeable, mais souvent oublié, des soldats venus d’Afrique dans ce conflit.

Des troupes coloniales…

En 1914, l’Empire colonial français s’étend sur une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest (Afrique Occidentale Française) et de l’Afrique centrale (Afrique Equatoriale Française). Des troupes coloniales françaises existent alors déjà. Elles ont été créées en 1857, à l’initiative de Louis Faidherbe ; nommé Gouverneur en 1854, ce dernier arrive à la tête de la colonie du Sénégal avec d’ambitieux projets de conquête. Il entreprend alors avec succès de doubler les effectifs existants, et attire les nouvelles recrues en leur offrant un meilleur solde, des meilleures conditions de vie, et un nouvel uniforme chatoyant. Les soldats sont dès lors professionnalisés, et au fur et à mesure de la colonisation, l’armée française recrute des tirailleurs « sénégalais », bien au-delà du Sénégal, dans toute l’Afrique noire.Ces troupes n’ont alors pas vocation à être utilisées en dehors de l’Afrique noire, même si quelques bataillons sont amenés à combattre en Europe entre 1854 et 1871.

Mais en 1910, le lieutenant-colonel Mangin publie un ouvrage intitulé « La Force noire », qui milite en faveur de l’utilisation des troupes noires en Europe, clairement dans la perspective d’une guerre à venir contre l’Allemagne. Mangin décrit alors les soldats noirs comme des soldats valeureux, dotés selon lui de qualités physiques particulières (une plus grande résistance à la douleur, notamment), pouvant utilement compléter les contingents français. Son livre provoque un débat à la Chambre des députés, qui vote en 1912 la conscription des colonisés et le principe d’utilisation des troupes coloniales en métropole.

…Mobilisées et agrandies pour la grande guerre

La mobilisation des troupes coloniales se fait donc assez rapidement dès le début de la grande guerre. Mais ce n’est qu’à partir du mois d’août 1914, lorsqu’il apparaît que le conflit doit durer, qu’un recrutement de masse est organisé. Les révoltes locales ne font que freiner ou reporter les campagnes de recrutement. Ainsi, en Afrique Occidentale Française, le Gouverneur demande instamment à Paris d’ordonner l’arrêt des recrutements en 1917. 

Mais les recrutements reprennent, dès 1918, sans coercition, grâce à une campagne énergique du député Blaise Diagne, premier Africain à siéger au palais Bourbon en 1914. En janvier 1918, ce dernier est nommé Commissaire de la République par Clémenceau et effectue une tournée de six mois en Afrique Occidentale Française au cours de laquelle il parvient à convaincre 63 000 Africains, principalement issus des élites occidentalisées des villes, de s’engager volontairement au secours de la « Nation Civilisatrice ». Mais le député Blaise Diagne ne doit pas leur accord qu’à sa force de conviction : il leur promet en effet qu’ils obtiendront la citoyenneté française pleine et entière à l’issue du conflit, et certains avantages matériels. Ce sont au total 189 000 hommes de l’Afrique Occidentale Française et de l’Afrique Equatoriale Française qui seront mobilisés pour la Première Guerre Mondiale.

Sur le front et dans les villes

Les bataillons africains participent à toutes les grandes offensives de la grande guerre, dont Verdun en 1916 et le Chemin des Dames en 1917. Les troupes de tirailleurs, donnent entière satisfaction aux autorités, et leur qualité de militaires sont louées par leurs supérieurs hiérarchiques et les hommes politiques, y compris le président de la République Raymond Poincaré. La presse renchérit et souligne leur courage, leur loyauté et leur civilité. C’est alors la première fois que les populations françaises militaires comme civiles sont amenées à interagir fréquemment avec des Africains : en quatre ans de guerre, les Blancs de métropole voient arriver plus de Noirs qu’en quatre siècles. Les autorités françaises souhaitent néanmoins limiter leurs relations autant que possible ; ainsi les camps d’entraînement sont situés à distance de la population civile, et les premières permissions ne sont accordées aux tirailleurs qu’en 1918, lorsque les autorités s’inquiètent de leur moral. 

Dans les tranchées, la dureté des conditions de vie fait oublier toute forme de discrimination voire de différenciation : enfoncés dans la boue, couverts de poux et de rats, les soldats sont tous égaux face au danger, à la peur et aux souffrances de la guerre. Les autorités militaires ont la tâche délicate d’assurer les bonnes relations entre Noirs et Blancs tout en décourageant une trop grande proximité. Des bagarres peuvent éclater entre soldats : il est ainsi rapporté que le soldat Ndiaga Niang s’entend dire un jour, au moment de trinquer, par un camarade blanc « ne touche pas à ma tasse, tu es trop sale ». Niang réplique par un coup de poing, une bagarre s’ensuit et se termine devant le capitaine, qui donne raison à Niang. Les deux hommes deviendront finalement amis. Dans l’ensemble, le racisme est peu présent et la camaraderie l’emporte. Des amitiés se nouent et se prolongent par des visites dans les familles lors des permissions.

De même, les soldats noirs sont globalement bien accueillis par les populations civiles ; passée la surprise de l’arrivée de ces nombreux hommes à la peau sombre, les tirailleurs font très bonne impression : la Première Guerre mondiale efface l’image du sauvage cannibale vivant dans la jungle pour imposer celle du Noir enfantin, du tirailleur rieur à la chéchia « y’a bon Banania » figuré sur les célèbres boîtes de cacao jaunes. Les relations amoureuses avec des Françaises (marraines de guerre, infirmières, etc.) inquiètent les autorités françaises. Au-delà de ces liaisons, les témoignages font état de meilleures relations avec les femmes, souvent plus respectueuses et moins agressives. Ainsi, en dépit de quelques témoignages humiliants et brutaux de racisme, les relations sont plutôt bonnes, trop bonnes même, au goût des autorités. 

A titre de comparaison, leur situation est bien meilleure que celle des soldats noirs américains, dont les premiers régiments de volontaires arrivent en France en décembre 1917, emmenant avec eux une ségrégation raciale implacable. L’état-major américain refuse ainsi d’armer ces soldats noirs et les cantonne à un rôle de soutien logistique. En 1918, face à la pression des autorités françaises et pour satisfaire aux revendications de ces régiments, quelques bataillons sont envoyés sur le front, mais sous commandement français. Ils s’illustrent par leur bravoure, notamment dans les violents combats en Champagne. De nombreux soldats noirs feront partie des premiers soldats étrangers à recevoir la croix de guerre. De retour chez eux, ces soldats noirs américains raconteront avec enthousiasme n’avoir vécu aucune ségrégation raciale en France.

Le bilan

Sur les 189 000 tirailleurs « sénégalais », 31 000 environ furent tués, soit une proportion de pertes assez voisine de celle de l’ensemble de l’armée française sur cette période. Ces chiffres masquent néanmoins une autre réalité : alors que les pertes françaises sont terribles pendant les deux premières années de la guerre, elles déclinent par la suite tandis que celle des tirailleurs augmentent pour atteindre leur maximum en 1918 ; à la fin de la guerre, l’utilisation massive des tirailleurs a clairement pour objectif de sauver des vies françaises, et plusieurs responsables militaires et politiques français, dont Clémenceau, expliquent que la mise en première ligne des troupes coloniales permet d’épargner le sang français qui a déjà suffisamment coulé. 

Malgré ces dizaines de milliers de soldats africains morts ou portés disparus et la « dette de sang » qui en découle, les autorités décident d’organiser le rapatriement rapide des survivants vers les colonies, afin d’empêcher l’installation de ces combattants en métropole. Ils n’obtiennent donc ni la citoyenneté française, ni les avantages matériels promis, et la colonisation ne connaît aucun aménagement significatif après la Guerre. Par la suite, la République Française n’entretiendra pas la mémoire de ces tirailleurs, et la question du montant de leurs pensions, cristallisé au moment de la décolonisation, soulèvera un contentieux qui durera  près de cinquante ans, et dont nous avons tous entendu parler de notre vivant.

Rouguyatou Touré

 

Sources :

Pap Ndiaye, La Condition Noire : Essai sur une minorité française, Editions Calmann-Lévy, 2008

Philippe Dewitte, Deux siècles d’immigration en France, La Documentation française, 2003

Juan Gelas et Pascal Blanchard, Noirs de France, De 1889 à nos jours – 130 ans d’histoires partagées [DVD], 2012 

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