Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

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             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

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Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

Améliorer les chances d’être financièrement inclus au Sénégal

siege-bceaoDans les pays développés, la plupart des adultes ont un compte auprès d’une banque ou d’une autre institution financière. La réalité est bien différente dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, et notamment au Sénégal. Selon une enquête effectuée par le Groupe de la Banque mondiale, moins d'un adulte sénégalais sur cinq (17 %) indique posséder un compte dans une institution financière formelle, qui incluent les banques, les institutions de microfinance, et les porte-monnaie électroniques.

Bien que les niveaux d’inclusion financière au Sénégal soient similaires à ceux d'autres pays à revenu moyen inférieur, le pays accuse un retard par rapport au taux d'inclusion moyen des économies d'Afrique subsaharienne.
 
Pourquoi 6 millions d'adultes sénégalais sont financièrement exclus ? Pour répondre à cette question, il est important de remarquer qu’en matière d’inclusion financière, il y a de fortes inégalités. Au Sénégal, l'inclusion financière varie considérablement entre les sous-groupes de population.
 
Par exemple, la probabilité d’inclusion financière des hommes sénégalais est supérieure de neuf points à celle des femmes. Cette différence peut être expliquée en partie par le fait que les femmes participent généralement moins aux décisions financières du ménage. Seules 23 % des femmes ont déclaré être responsables des dépenses quotidiennes du ménage, contre 36 % des hommes.
 
Les populations urbaines sont aussi beaucoup plus susceptibles d'être financièrement incluses que les populations rurales, à 22 % contre 13 %. En outre, les adultes qui gagnent un revenu élevé ou moyen ont 12 % de chances de plus d'être financièrement inclus que ceux qui gagnent un faible revenu.
 
Selon l’enquête, 54 % des Sénégalais déclarent ne pas avoir assez d'argent pour posséder un compte, 19 % indiquent préférer l’utilisation d’espèces, tandis que 14 % estiment ne pas avoir besoin de compte. Enfin, 8 % des adultes trouvent les frais de transaction trop élevés.
 
Au Sénégal, il existe des obstacles à la sensibilisation aux produits et concepts financiers. Par exemple, environ 80 % des adultes interrogés connaissent les services de transfert d'argent, moins de 70 % étaient conscients de l’existence des banques commerciales, et 25 % étaient familiers des institutions de microfinance et de leurs services.
 
Une comparaison internationale dans 12 pays en voie de développement a montré que les Sénégalais ont tendance à veiller sur leurs dépenses et à planifier leur retraite; ils affichent cependant la performance la plus faible quant à leur capacité à comparer les produits financiers, et notamment à lire les prospectus relatifs aux tarifs et conditions, ce qui les empêche de choisir des produits répondant à leurs besoins.
 
Ces résultats sont préoccupants car ils entravent l’adoption et l'utilisation des produits et services financiers formels au Sénégal. Les comptes transactionnels sont généralement le premier point d’entrée dans le système financier formel. Sans un compte pour effectuer des transactions, les Sénégalais sont amenés à effectuer des transactions qui peuvent s’avérer souvent risquées, coûteuses, et incommodes.
 
Le Sénégal a fait une priorité de l’amélioration de l'accès et de l'utilisation responsable des produits et services financiers. En 2012, le pays s’est engagé, en vertu de la Déclaration de Maya, à accroître l'inclusion financière et a depuis adopté une série de mesures. L'approche a été payante : entre 2014 et 2015, le nombre d'adultes formellement inclus est passé de 15 % à 17 %.
 
Compte tenu de ces défis, on peut toutefois se demander comment le Sénégal peut augmenter ses chances des pauvres, des femmes et des populations rurales d'être financièrement inclus.
 
Voici quelques suggestions :

  • Continuer à élaborer des stratégies : les autorités devraient continuer à développer une Stratégie nationale d'inclusion financière (SNIF) pour veiller à ce que l'engagement des parties prenantes, des secteurs publics et privés, en faveur de l'inclusion financière, soit explicite, solide et soutenue.
  • Tirer profit des canaux de distribution sans succursales fixes : de nouveaux modèles économiques, tels que les services bancaires mobiles ou à l’aide d’un agent, peuvent considérablement réduire les coûts de prestation des services financiers, notamment dans les zones à faible densité et reculées, et promouvoir un accès pratique aux services financiers.
  • Encourager l'adoption et l'utilisation de comptes transactionnels de base à peu ou pas de coûts : le Sénégal dispose d’une réglementation qui assure à chacun le droit à un compte bancaire de base et sans frais, toutefois, les incitatifs économiques semblent insuffisants pour que le secteur privé offre volontairement ce type de comptes à ses clients.
  • Promouvoir des services financiers diversifiés : même si de nombreux Sénégalais ont peu d'argent, ils épargnent quand même, principalement par le biais des canaux informels. Les produits d'épargne formels peuvent aider à garantir les épargnes, ce qui peut aider les ménages à gérer les fluctuations de trésorerie, à lisser leur consommation et à construire des montants forfaitaires. Le développement de produits d'assurance pourrait aussi être considéré, puisque ceux-ci peuvent aider à atténuer les chocs et à faire face aux dépenses liées à des événements inattendus, comme les urgences médicales, les vols ou les catastrophes naturelles.
  • Innover : la transmission de messages financiers par le biais des moyens novateurs, tels que les séries de télévision populaires, les films, les vidéos ou les émissions de radio, peut être efficace pour l'amélioration des connaissances et, plus important encore, la modification du comportement. Les SMS périodiques et les applications mobiles pourraient être autant de canaux de diffusion prometteurs et rentables. Des études en Bolivie, au Pérou et aux Philippines montrent que l'envoi de SMS en temps opportun pour rappeler aux gens d'économiser est efficace pour aider à la mobilisation de l’épargne pour atteindre des objectifs d'épargne préalablement déterminés.

 

 

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et a été soumis par SIEGFRIED ZOTTEL.

 

TIC et Développement Durable en Afrique

e-governmentTout au long des siècles, les innovations technologiques ont façonné les rapports entre les individus, ainsi que les interactions entre ceux-ci et leur environnement. On pense par exemple à l’imprimerie d’abord pratiquée par les Chinois (depuis le IIème siècle après JC) puis perfectionnée et démocratisée par Gutenberg. Il est dit que l’imprimerie contribua fortement à diffuser la pensée et les idées dès la Renaissance, révolutionnant par ricochet la transmission d’informations et de connaissances entre les individus. L’expansion d’internet dès le début des années 2000 a considérablement modifié nos modes de vie et ouvert la voie à de nouveaux outils et modèles de communication.  A travers ces nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), le monde est devenu un « village planétaire » : la mondialisation, disait-on ! En révolutionnant nos environnements, nos cadres de vie, nos systèmes d’apprentissage, nos déplacements, nos schémas de réflexion, bref notre quotidien, les TIC ont remanié de fond en comble nos sociétés. Au cœur des transformations de ces dernières, les innovations technologiques apportent des réponses à des problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Constat encore plus marqué dans les pays africains : le boom des télécommunications y a créé des conditions idéales pour le développement d’application et de logiciels locaux.

 L’exemple le plus marquant est celui de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne. Le téléphone portable y est actuellement le 1er moyen d’accès à internet. Selon une étude publiée en 2013 par l’Association Mondiale des Opérateurs Télécom (GSMA), le nombre d’abonnés mobile dans cette région du monde a progressé de 18% par an entre 2007 et 2012[1]. En Afrique, la plupart des téléphones portables vendus sont des smartphones sous Androïd, un système d’exploitation pour lequel il est très facile de créer des applications/logiciels mobile. Ceux-ci permettent de créer des synergies entre différents secteurs et contribuent à l’innovation sociale (e-santé, e-learning, etc.), économique (mobile Banking, e-commerce…), environnementale (consommation d’électricité, gestion des déchets urbains etc.)

D’abord cantonnées à un usage privé, les TIC sont aujourd’hui plébiscitées dans la sphère formelle et institutionnalisée: elles sont appréhendées tels de véritables outils de développement, de croissance socio-économique pour des populations en quête d’émergence. Ces innovations technologiques, impactent inégalement les PIB des différentes pays africains : selon une étude du Mc Kinsey Global Institute (MGI) rendue publique en novembre 2015, internet contribue à 3,3% au PIB du Sénégal, 2,9% pour le Kenya, 2,3% pour le Maroc et 1,4% pour l’Afrique du Sud.[2]

Il n’est donc pas surprenant que les TIC soient directement mentionnées dans 4 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’ONU en septembre 2015. En tant que catalyseurs pour l’éducation, l’égalité homme-femme[3] ou moteur de la construction d'infrastructures résilientes pour une industrialisation durable[4] qui profite à tous, il est largement reconnu que les TIC jouent un rôle fondamental dans l’émergence de l’Afrique. Cet article revient sur le rôle que les TIC peuvent jouer dans l’émergence de l’Afrique ainsi que la manière dont elles participeront à la croissance inclusive sur le continent. 

 

  1. Les TIC comme catalyseurs de développement en Afrique

Tout l’intérêt des TIC en Afrique repose sur leurs usages et les services qu’elles permettent de développer : elles ne sont plus seulement utilisées comme de simples supports de communication (privée ou professionnelle)  mais plutôt comme de véritables instruments à des fins de développement socioéconomique. Le recours aux TIC dans le continent est passé d’un « usage de loisirs » à une « utilisation thérapeutique » : elles apportent des solutions aux besoins de base des populations : éducation, santé, transports, alimentation, accès à l’énergie et à l’eau potable etc.[5] Pourtant ce ne fut pas toujours le cas ; pendant très longtemps les « TIC-Sceptiques » ont vu l’émergence de ces nouveaux moyens de communication comme l’arbre qui cache la forêt ; un miroir aux alouettes qui détournait l’attention des « vrais » problèmes de l’Afrique : la famine,  la malnutrition, l’analphabétisme, l’illettrisme, les épidémies et pandémies, les guerres, les catastrophes naturelles et toute autre calamité collée à la représentation que certains se faisaient ( se font encore !) du continent. Ne dit-on pas que le temps est meilleur juge ? A ce propos, le temps a donné raison aux « TIC-Optimistes ». En effet depuis une dizaine d’années pléthores d’applications mobiles, développées par des start-up innovantes ont prouvé que les TIC ne sont pas superflues, bien au contraire qu’elles sont une des solutions pour résoudre  ces « vrais » problèmes auxquels les pays africains font face.

Pour les plus connues, elles s’appellent Obami en Afrique du Sud (plateforme-web de cours et vidéo éducatives gratuits),  Gifted Mom au Cameroun (santé de la femme enceinte et des nourrissons), M-Pesa au Kenya (paiement mobile), Jumia (e-commerce), W Afate au Togo (imprimante 3D à base de déchets électroniques),  M-Louma au Sénégal (bourse agricole en ligne). Toutes initiatives audacieuses illustrent le rôle incontournable que jouent les TIC dans la lutte contre la pauvreté, l’accès de tous à une éducation de qualité, l’accès aux soins de santé. Comme l’a souligné Alain François LOUKOU[6]  « les TIC ne constituent pas un problème totalement découplé des autres problèmes de développement. Elles sont plutôt en interaction avec eux». De plus l’usage des TIC à travers le développement d’applications mobile revêt une dimension de responsabilité intergénérationnelle, très peu mise en avant dans l’analyse de l’émergence des TIC en Afrique. En effet, en développant une application comme Gifted Mom, ou Obami, les créateurs répondent non seulement à des besoins actuels mais aussi anticipent des besoins futurs des générations suivantes : accès aux soins de santé,   accès à l’éducation etc.

En ce sens les TIC sont bel et bien des instruments qui permettront d’atteindre les Objectifs du Développement Durable tels que définis par les Nations Unies. On peut ainsi paraphraser la définition du Développement Durable en disant que les TIC sont des technologies qui permettent de répondre aux besoins des générations actuelles et à ceux des générations futures.

 

  1. Les TIC comme instruments de croissance inclusive

Il est indéniable que les Technologies de l’Information et de la Communication contribuent à booster le développement pour le continent africain. Il est révolu le temps où on voyait les TIC comme un luxe pour l’Afrique (en proie à de lourds retards structurels et infrastructurels). Aujourd’hui grâce aux TIC de nombreux entrepreneurs africains proposent  à leurs compatriotes des solutions locales aux problèmes locaux.  Mieux, certaines initiatives visent même une portée internationale : on parle de Glocalisation développer des solutions locales qui peuvent aussi bien s’étendre bien au-delà du marché national (notamment au sein de pays partageant des difficultés identiques). C’est le cas notamment des applications de transferts d’argent par mobile dans des sociétés où très peu de particuliers disposent de compte bancaire classique, mais possèdent 2 voire 3 téléphones portables. Aujourd’hui la réflexion ne porte plus sur l’utilité avérée des TIC pour le développement de l’Afrique. La question fondamentale est désormais comment les TIC peuvent-ils contribuer efficacement à la croissance durable et inclusive des pays africains ?

Face à ces bénéfices mentionnés ci-dessus, les gouvernants, les acteurs économiques mettent à pied d’œuvre des stratégies de promotion des TIC via l’émergence de l’économie numérique. Selon The Australian Bureau of Statistics,  l'économie numérique peut être définit comme l’ensemble des activités économiques et sociales génératrices de revenus qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux Internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique. Cette nouvelle catégorie d’économie regroupe le secteur des TIC, les secteurs utilisateurs et les secteurs à fort contenu numérique, ces derniers ne pourraient exister sans ces technologies. Le caractère multidimensionnel des innovations technologiques en font un vecteur non négligeable de croissance, de productivité et de compétitivité dans certains divers secteurs comme l’agriculture, la finance, l’accès à l’énergie, la consommation de bien et services etc.

Mais pour que les TIC deviennent de véritables leviers de croissance (inclusive donc qui profitent à tous), les ressources nécessaires doivent être mobilisées.

  1. Le rôle des Etats

En commençant par une offre éducative et de formation en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi. Très peu de structures éducatives proposent des enseignements à l’utilisation des TIC ; très peu d’écoles primaires, de collèges, de lycées en Afrique disposent d’ordinateurs pour l’enseignement de l’informatique. Rares sont les établissements qui proposent des cours ou ateliers d’initiation à internet. L’apprentissage se fait intégralement dans le circuit informel (auprès des amis, de la famille ou dans les cyber café).  Inutile de préciser les dérives que ce manque d’encadrement engendre (utilisation détournée des outils de communication à des fins peu éthiques).  Beaucoup d’apprenants sont des autodidactes ou au mieux ont suivi des enseignements dans des structures d’apprentissage et d’initiation aux TIC[7]. Ces formations arrivent trop tard dans l’offre de formation éducative quand elles n’en sont pas à la marge.  Le secteur de l’économie numérique est un secteur porteur dont les besoins en compétences seront très forts dans l’avenir. Pour ce faire, l’Afrique a besoin de former les futurs codeurs, ingénieurs, développeurs et ne pas s’enfermer dans un état de léthargie qui en fera un désert de compétences.

Par ailleurs du côté des administrations publiques, pendant longtemps celles-ci n’avaient pas investi la sphère digitale ; depuis quelque temps, on note une digitalisation des  structures gouvernementales (site web, compte sur les réseaux sociaux, numéro d’accès via application mobile etc.). Ceci dénote une mobilisation par le geste des pouvoirs publics qui comprennent progressivement l’intérêt des TIC dans la gestion quotidienne des services. La mise en place d’une administration dématérialisée permettrait aux Etats d’être plus performants et mieux servir les citoyens.

  1. Le rôle des entreprises

Rappelons que pour une croissance inclusive des pays Africains, les entreprisses  sur le continent ont également un  rôle primordial à jouer.

Aujourd’hui encore, l’accès à internet s’avère coûteux pour beaucoup de particuliers. L’offre tarifaire (très vaste pour que chaque consommateur trouve chaussure à son pied) reste souvent très élevée pour une consommation en permanence. Il n’est donc pas rare que certains n’aient pas accès à internet pendant plusieurs jours car leur forfait est épuisé. Il faudra alors recharger son téléphone pour avoir internet.  L’accès à internet est certes en hausse mais il est encore insuffisant pour combler la fracture numérique Nord/Sud et atténuer les disparités intrarégionales (zones rurales, péri urbaines et urbaines). Les coûts d’accès élevés sont un corollaire de la faiblesse des infrastructures et de la faible connectivité intracontinentale[8]. La réduction des tarifs des « abonnements » internet est un prérequis majeur pour que l’accès à internet en continu ne soit plus un luxe pour certains.

Pour cela, les entreprises de télécommunication en collaboration avec les Etats et les investisseurs doivent travailler à améliorer les infrastructures de télécommunications. Dans le cadre de leur Responsabilité Sociétale (RSE) ces entreprises gagneraient à déployer des réseaux de télécommunication plus performants et plus modernes : la vétusté des équipements et le faible taux d’électrification du continent sont les principaux handicaps qui affectent la qualité de service des opérateurs.

Le manque de capitaux dans le secteur des télécommunications peut  être résolu par la mise en place de garanties à savoir un climat des affaires plus sain et responsable. Conjointement avec les  Etats,  les entreprises doivent lutter conte la corruption et les pratiques déloyales. C’est ainsi que les pays africains sauront attirer de nouveaux investisseurs, pour palier le faible renouvellement des équipements et l’obsolescence des infrastructures. Les difficultés issues de la vétusté des équipements résultent aussi des défaillances dans la maintenance des infrastructures. Les insuffisances constatées s’expliquent également par l‘absence de ressources humaines hautement qualifiées. Toujours dans le cadre de leur RSE, les entreprises peuvent favoriser le renforcement  de compétences, de capacités en nouant des partenariats avec des centres de formations, afin que ceux-ci forment les apprenants aux métiers dont ont réellement besoin les entreprises. Une fois de plus l’éducation et l’offre de formation se trouvent au cœur de l’impact des TIC sur le développement des pays africains.

Mentionnons avant de clore cet article un élément peu traité dans la réflexion sur les TIC en Afrique : la gestion des déchets électriques et électroniques (DEE). Dans un contexte où la communication entre 2 opérateurs concurrents coûte excessivement chers, les consommateurs ont pris l’habitude d’avoir plusieurs téléphones (un pour chaque opérateur) ou un téléphone à 2 ou 3 puces. A cela s’ajoutent les tablettes et ordinateurs (portable ou fixe). Si on considère que chaque individu change de téléphone portable tous les 18-24 mois, tout cela représente une tonne de déchets non ou mal recyclés. Un certain nombre de précaution (par exemple porter des équipements de protection) sont à prendre dans le traitement de ces déchets.  En effet tous ces appareils sont composés d’éléments toxiques pour la santé des personnes et l’environnement s’ils ne sont pas correctement recyclés. En l’absence de réglementations, le marché du recyclage et de la revalorisation des DEE est principalement informel donc sujet à de graves manquement dans le respect des mesures de sécurité.  Dans le cadre de la RSE, les entreprises de télécommunication seront appelées à trouver des solutions à la gestion des « e-déchets ». Ces derniers, s’ils sont négligés entraineraient de graves dommages de santé aux recycleurs (cancers, problèmes respiratoires), et d’importants dommages environnementaux (pollution des nappes phréatiques et des sols à proximité des centres sauvages de tri et recyclage)[9].

 

Les TIC sont effectivement des instruments au service du développement durable de l’Afrique mais en poussant la réflexion plus loin, on peut affirmer qu’avec un certain nombre de prérequis remplis, les TIC peuvent être des catalyseurs de la croissance soutenable et inclusive des pays africains. Nous avons énuméré quelques points d’amélioration à l’égard des Etats et des entreprises en tant que principaux acteurs du développement du continent ; sans toutefois nier l’importance de la société civile dans cette marche vers l’émergence. Les TIC sont aujourd’hui un maillon fort de l’économie de beaucoup de pays africains dont la contribution d’internet pourrait atteindre 5 à 6% du PIB des pays africains d’ici 2025. Ce qui montre que le secteur est hautement dynamique. À cela, il faut ajouter un secteur informel dont les données par essence « informelles » échappent à toutes statistiques officielles.  Le secteur informel génère des  milliers (voire des millions) de petits emplois et des revenus substantiels aux personnes de tous âges et de tous sexes qui l’exercent partout où les réseaux sont disponibles.

Pour confirmer ces faits, il serait nécessaire que soient mis en place de solides indicateurs d’appréciation de l’impact réel des TIC sur le développement des sociétés africaines. Pour cela deux pistes : d’une part quantifier la part de l’économie numérique aux PIB des pays africains (à travers par exemple le nombre d’emplois décents et pérennes crées dans les secteurs liés aux TIC.). On parle d’approche comptable car elles s’expriment uniquement en termes financiers ou création d’emplois. D’autre part quantifier le manque à gagner des pays africains en cas de « privation » des TIC ; on évaluerait ainsi les conséquences organisationnelles sur les entreprises, les particuliers, les administrations de  la non utilisation des TIC.

 

Rafaela ESSAMBA


[3] 5.b  Renforcer l’utilisation des technologies clefs, en particulier l’informatique et les communications, pour promouvoir l’autonomisation des femmes

[4] 9.c  Accroître nettement l’accès aux technologies de l’information et de la communication et faire en sorte que tous les habitants des pays les moins avancés aient accès à Internet à un coût abordable d’ici à 2020

[5] Besoins qu’on peut assimiler aux 2 premières bases de la pyramide de Maslow à savoir les besoins physiologiques et ceux de sécurité/protection

[6] Alain François Loukou, « Les TIC au service du développement en Afrique : simple slogan, illusion ou réalité ? »

[7] Signe d’un fort engouement pour l’économie numérique et les TIC, des espaces d’innovation digitale (hub, pépinières, espace de co-travail, incubateurs..) voient de plus en plus le jour en Afrique.

[8] La plupart des pays africains utilisent la largeur de bande passante internationale pour un partage de données au  niveau local ; opération extrêmement chère.

Financer les économies africaines – Livre blanc de la Conférence annuelle 2016 de L’ADI

Le problème du financement des économies africaines se pose avec plus d’acuité dans un contexte où les Etats élaborent des plans d’émergence conformément aux Objectifs de Développement Durable des Nations Unies et à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. L’Afrique des Idées a réuni des experts lors de sa Conférence Annuelle pour réfléchir sur les moyens d’amplifier la mobilisation des ressources financières à destination des économies africaines. La question de la mobilisation des ressources internes et de la mise en place de modèles de financement innovants a constitué la principale problématique de cette rencontre. Les conclusions de cette réflexion se trouvent dans ce Livre blanc téléchargeable gratuitement.

 

Développement des Comores : il faut (aussi) regarder au-delà des facteurs économiques!

Avec un indice de Développement humain faible, (moins de 0.550)[1],  les Comores sont un des pays africains les plus inégalitaires du continent. En plus des inégalités, c’est un pays qui connait des problèmes dans sa transformation avec une urbanisation galopante avec plus de 60 % des citadins vivant dans des bidonvilles. À cela, il faut ajouter la crise énergétique qui pèse sur la croissance économique, qui n’a pas dépassé 1.1 % en 2015, et un chômage élevé chez les jeunes. Ces problèmes économiques doivent inciter à  repenser l’économie et les politiques de développement du pays pour répondre aux attentes du peuple comorien comme l’a souligné Son Excellence Monsieur Le Président Azali Assoumani lors de son discours d’investiture en mai 2016: «  Je mesure pleinement l’ampleur de vos attentes et plus particulièrement, l’unité, la paix, la sécurité et le décollage économique de notre pays». Mais au-delà des facteurs économiques qui limitent son développement, les Comores font face également à des problèmes sociaux qui ne sont pas sans effets sur les progrès économiques du pays et qui demandent une remise en cause des comoriens. La question est donc de savoir comment les comportements influent-ils sur le  développement socio-économique des Comores ? Cet article traitera de certaines caractéristiques de la société comorienne qui pourrait être un frein au progrès économique et social des Comores.
 

La faculté de choix
Ces dernières décennies, la recherche sur les sciences naturelles et sociales a développé des théories stupéfiantes sur la façon dont les individus pensent et prennent des décisions. Alors que les gens posent toujours comme hypothèse que les décisions sont prises de façon délibérative et autonome, selon des préférences logiques et des intérêts personnels, de récents travaux montrent qu’il n’en est presque jamais ainsi : on pense de façon automatique – au moment de prendre une décision, les individus utilisent généralement ce qui vient naturellement à l’esprit ; on pense de façon sociale – les normes sociales influent en grande partie sur notre comportement et bon nombre de personnes préfèrent coopérer tant que les autres coopèrent ; et on pense par modèles mentaux – ce que les individus perçoivent et la façon dont ils interprètent ce qu’ils perçoivent dépendent de visions du monde et de concepts issus de leurs sociétés et d’histoires communes.

La belle tradition du ‘Anda’ aux Comores

À l’origine, le ‘Anda’ symbolise le Grand Mariage mais c’est devenu un phénomène social qui joue un rôle primordial dans la vie de chaque comorien. Je ne vais pas ici faire un bilan global du mariage et dire qu’il est mauvais ou pas car ce serait ignorer les maintes ramifications, irremplaçables et essentielles dans le déroulement de la vie aux Comores et qui ne relèvent pas du seul domaine économique. Les effets du ‘Anda’ tels que la gestion du quotidien, la structuration villageoise, le maintien d’une cohésion sociale et l’établissement de systèmes de gouvernance à l’échelle locale et régionale, nous permettent de voir à quel point ce phénomène est ancré en chacun de nous depuis notre naissance. Notre conduite et notre prise de décisions est programmée tel une machine dès notre jeunesse à suivre et respecter tout cela au risque d’être traité de non désirable, d’être banni de la société ou même au sein de nos propres maisons. La majorité des comoriens en sait quelque chose et beaucoup d’intellectuels y ont laissé leurs marques mais le plus important  concernant  le ‘Anda’ est que nous devons trouver le moyen d’allier coutume et modernité et faire en sorte que cette coutume se modernise de façon à répondre aux impératifs de développement du pays.


L’islam est-il un frein pour le développement ?

La religion joue un rôle fondamental en tant que déterminant du développement économique d’une région donnée et dispose d’un impact considérable sur la formation et l’évolution du corpus juridique et institutionnel d’une société, qui est lui-même un déterminant majeur et reconnu de longue date du développement économique. Dans les pays musulmans, l’influence de l’islam est si envahissante qu’elle empêche de nombreux États comme les Comores de s’interroger sur les vraies raisons de leur retard. Toutes les réponses apportées sont religieuses… Si les choses vont mal, nous sommes punis par Dieu pour avoir abandonné le droit chemin comme on a tendance à le souligner quand on est confronté à la mort : « c’est la volonté de Dieu ! » et on met de côté toutes les causes médicales, etc. Toutefois , comme on peut le constater dans plusieurs pays musulmans comme les Émirats Arabes Unis, le Qatar, l’Arabie Saoudite et autres qui sont très avancés qu’aucune religion ne puisse être «  par essence » défavorable au développement économique, puisque l’effet de ses dogmes est contingent aux conditions économiques, sociales et historiques du moment. Dans le cas des Comores où la pratique des lois islamiques que ce soit dans le collectif ou l’individualisme laisse à désirer. Surtout avec la nouvelle génération de «  musulman non pratiquant » qui semble croire qu'il suffit pour être musulman, de le déclarer avec la bouche et cela, même si on n'applique rien des obligations de l'Islam. Tous cela pour dire qu’aux Comores, on a plus nos repères dans la religion mais on tâtonne, nous devons soit nous déclaré pays laïc ou être de vrais musulmans pour le bien de notre développement.


La jeunesse comorienne est-elle une bombe à retardement ?
De nos jours, les jeunes comoriens, s’engagent en politique, et dans beaucoup d’autres secteurs. Ces nouveaux militants ont comme objectif de faire bouger les choses dans notre pays. Défendre les intérêts de la jeunesse paraît être leurs préoccupations majeures. Ils se lèvent ainsi pour revendiquer leurs droits à des conditions de meilleures conditions de vie. Ces jeunes comoriens longtemps défavorisés, veulent à travers leur engagement, avoir la liberté de choisir leur mode de vie. Et s'il n’y avait pas à choisir et que nous étions réduit à un seul mode de vie : la pauvreté ? Devraient-ils abandonner et continuer à critiquer les dirigeants sans bouger le petit doigt ou brandir le drapeau national et construire leurs vies par leurs propres mains ?

Plusieurs études montrent de façon concrète comment ces théories s’appliquent aux politiques de développement. Une meilleure compréhension et une vision plus subtile du comportement humain peut générer de nouveaux outils d’intervention et aider à atteindre des objectifs de développement a beaucoup d’égards – développement du jeune enfant, situation financière des ménages, productivité, santé et autres. En apportant même de légers ajustements au contexte décisionnel, en préparant les interventions sur la base d’une compréhension des préférences sociales et en exposant les individus à de nouvelles expériences et de nouveaux modes de pensée, on peut créer de meilleures conditions de vie.
Cependant n’y a-t-il pas un danger à essayer de changer les normes culturelles et religieuses d’une communauté par un «  big push » visant à modifier rapidement l’équilibre culturel d’une population, et donc ses normes coopératives ? Comme dit l’adage, qui va doucement, va surement. Il y a beaucoup à faire pour ce beau paradis et jeune pays que sont les Comores pour notre développement socio-économique et cela ne dépend que de notre mode de vie individuel et collectif  à nous tous peuple comorien car c’est uniquement ensemble qu’on mènera le bateau à bon port.

 


[1] African Economic Outlook 2016

Les nouveaux modèles de financement du développement en Afrique

fonds-souverainsDambisa Moyo, William Easterly, ou encore Jeffrey Sachs sont des noms qui reviennent souvent dans les débats sur l’aide au développement. À coup de théories économiques et d’exemples de cas d’école, chacun d’entre eux, et de nombreux autres économistes du développement, apportent leurs perspectives à la question de l’efficacité de l’aide, et son impact réel sur le développement. Pourtant, les alternatives à l’aide au développement attirent également de plus en plus l’attention des économistes comme substitut ou complément à l’aide au développement, car ayant le potentiel de limiter la dépendance à l’aide ou de combler certaines de ses lacunes. Cet article a donc pour objectif de présenter certains de ces nouveaux moyens de financement du développement, notamment les partenariats publics privés,  et l’autofinancement à travers le recours aux ressources internes et à l’endettement sur les marchés financiers. Ces modèles ont également leurs limites, qui seront présentées dans un second temps.

 

 

  1. Quels nouveaux modèles de financement pour le développement ?
  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Les Partenariats Public–Privé (PPP) sont principalement utilisés pour financer des infrastructures, et ont été imaginés pour éviter certaines difficultés posées par les modèles traditionnels de financement des infrastructures. En effet, le modèle de marché public, dans lequel une entreprise produit une infrastructure qui sera ensuite gérée par l’État, fait peser sur celui-ci des risques liés à un manque de contrôle sur la qualité de l’infrastructure, et sur les coûts que cela peut engendrer. Le modèle de la concession publique, où c’est l’État qui est en charge de la construction de l’infrastructure qui sera gérée par une entreprise, fait peser ces risques entièrement sur l’entreprise.

 Les PPP représentent donc un nouveau modèle de financement, censé permettre une meilleure répartition des risques. Même si le terme de PPP peut être utilisé pour désigner différents type de projets, c’est en général la réalisation et l’entretien par une entreprise, pour le compte de l’État d’un ouvrage ou un service public, qui produit ensuite des recettes qui servent à rémunérer l’entreprise. C’est par exemple le cas de l’autoroute à péage Dakar-Diamniado, réalisée par la société Eiffage au Sénégal ou le pont Henry Konan Bédié réalisé par la Socoprim en Côte d’Ivoire. Dans les deux cas, l’entreprise a été chargée par le gouvernement de concevoir et réaliser l’ouvrage, ainsi que de l’exploiter et de l’entretenir, pour une durée de 30 ans.

Le modèle des PPP permet un meilleur équilibre des risques, avec un État garantissant des compensations au cas où l’équilibre financier prévu pour le projet, n’est pas atteint. Ce modèle de financement assure également en général des ouvrages de qualité, dans les délais, d’une part car le partenaire privé qui le réalise possède une expertise en la matière, de l’autre car elle doit bénéficier des recettes qui en découlent.

  1. Les marchés financiers

L’autofinancement du développement représente une autre alternative à l’aide au développement. Elle permettrait aux États de rompre une situation de dépendance à l’aide, souvent critiquée, et de moins subir les chocs externes. On peut s’intéresser d’une part à l’emprunt sur les marchés financiers, et d’autre part  aux ressources que sont l’épargne privée intérieure (c’est-à-dire celle des populations), et l’épargne publique, qui découle des impôts sur les particuliers et les entreprises.

L’émission d’emprunts sur les marchés se développe depuis quelques années, avec de plus en plus de pays africains qui se tournent vers l’émission d’emprunts sur les marchés financiers, comme moyen de financer leur développement. Ces émissions consistent en des titres de créances émis par les États africains, sur des marchés étrangers, qui seront remboursés en totalité et avec intérêts. Le Ghana était ainsi le premier à émettre des obligations souveraines d’un montant total de 750 millions de dollars à un taux d’intérêt de 8,5%. En Octobre 2015, il émettait à nouveau des obligations, cette fois pour un montant de 1 milliard de dollar US, à un taux d’intérêt de 10,75%.

D’autres pays ont rapidement suivi le Ghana, parmi lesquels la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon, le Cameroun ou encore le Tchad. Derniers en date, le Sénégal en  Mars et l’Algérie en Avril. Avec des taux de croissance importants et des profils de risque qui se sont améliorés, les États africains peuvent apparaitre comme particulièrement attractifs pour certains investisseurs. Du côté des États, l’intérêt de ces émissions d’emprunt est qu’elles les laissent autonomes dans la gestion des fonds obtenus, contrairement aux prêts bilatéraux et multilatéraux. Cependant, ce modèle remplace les créanciers traditionnels des États africains que sont les bailleurs de fonds, par de nouveaux créanciers.

  1. Les ressources internes

En revanche, d’autres ressources internes gagneraient à être davantage exploitées par les États africains, notamment l’épargne. D’après le rapport économique sur l'Afrique 2010, publié par la Commission économique pour l’Afrique, « le taux d’épargne en Afrique est très faible par rapport à ceux d’autres parties du monde en développement », avec moins de 20% du PIB. Les ressources comme l’épargne privée ou les impôts sont donc clairement sous exploitées par les États, malgré le potentiel important qu’elles représentent.

C’est notamment le cas de l’épargne privée, alors que la microfinance a montré que même les populations les plus pauvres sont capables d’épargner. En cause : des systèmes financiers qui excluent la majorité des citoyens. À cause d’un nombre d’agences insuffisant surtout dans les zones rurales, de versements minimum demandés trop élevés, de taux d’intérêt peu intéressants ou encore une documentation à fournir, trop importante, les conditions nécessaires à l’ouverture d’un compte d’épargne sont souvent des barrières rendant ceux-ci peu attractifs pour les particuliers.

Du côté des ressources publiques, les systèmes fiscaux gagneraient à être développés. Les impôts collectés par les États africains ont pourtant augmentés, selon le rapport Perspectives Économiques en Afrique publié en 2010. Le rapport montre ainsi qu’ils sont passés de 113 milliards de dollars USD en 1996, à 479 milliards en 2008. Cependant, ces impôts sont souvent issus de la taxation des ressources minières et naturelles. Or, les crises successives des matières premières ont montré les limites de ce type de fiscalité ; de plus, cette source de revenus est souvent montrée du doigt comme facteur contribuant à la mauvaise gouvernance et à l’instabilité politique. Enfin, elles peuvent représenter un obstacle à la mise en place de systèmes fiscaux plus complexes, car représentant une source de revenus faciles.

En revanche, la mise en place d’impôts directs sur les populations et les sociétés, et indirects (TVA et autres taxes commerciales) permettrait de mobiliser de nouvelles ressources. Certains économistes argumentent par ailleurs que la taxation des particuliers peut rendre la population plus regardante sur la gestion des ressources publiques lorsque celles-ci sont issues de ses propres revenus, en comparaison avec l’aide extérieur, qui n’exerce pas la même pression sur les populations.

 

  1. Limites et risques des nouveaux moyens de financement

Ces nouveaux moyens de financement du développement ne sont pas exempts de risques et de coûts, qu’on ne retrouve pas forcément avec l’aide au développement.

  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Dans le cas des PPP, les États ne maitrisent pas forcément les risques liés à la demande. En effet, le niveau futur de demande ou d’utilisation par les usagers de l’ouvrage, est estimé lors de la signature du PPP. Si ce niveau n’est pas atteint, l’État doit verser des compensations financières au partenaire privé, ce qui représente donc des dépenses supplémentaires pour l’État. Par ailleurs, le risque de mauvaise gouvernance, liés aux marchés publics et aux concessions lorsque ceux-ci ne sont pas attribués de manière transparente et équitable, reste présent dans les PPP. Pour limiter ces risques, le développement d’un cadre réglementaire des PPP pourrait favoriser leur réussite. La Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale encouragent les États africains à aller dans ce sens, et c’est de plus en plus le cas. Les États de l’UEMOA travaillent ainsi à la mise en place d’un cadre régional des PPP, et nombreux sont les États qui ont déjà un cadre national, comme le Sénégal, le Niger ou la Côte d’Ivoire. Pour que ce cadre devienne réellement opérationnel, il sera important de renforcer les capacités des organismes en charge de gérer les PPP, et l’aide au développement pourrait y contribuer directement en facilitant des transferts de compétences dans ce domaine.

  1. Les marchés financiers

Les émissions d’emprunt sur les marchés financiers, elles, si elles représentent une alternative intéressante à l’aide au développement, envoyant des signaux positifs quant au développement économique de l’Afrique, peuvent également être à double tranchant. Dans un article publié en 2013 dans le journal les Échos, l’économiste Joseph Stiglitz met en garde contre un enthousiasme exagéré vis-à-vis de ces émissions. En effet, elles ont un coût supérieur à celui des prêts bilatéraux ou multilatéraux, car ces derniers ont des taux d’intérêts bas voir nuls, ce qui n’est pas le cas des obligations. Elles contribuent ainsi à l’endettement des pays africains : alors qu’il y a une dizaine d’années, les émissions d’obligations des États africains représentaient 1% de la dette extérieure des pays en développement, elles sont passées aujourd’hui à 4%.

  1. Les ressources internes

Le développement d’un système fiscal efficace parait de loin plus avantageux, car permettant à l’État de rester autonome et de mobiliser sa population. Le potentiel parait énorme, notamment avec la possibilité de taxer le secteur informel. Pourtant les réformes du système administratif devraient être profondes, avec notamment un besoin de décentralisation de l’administration pour assurer une collecte dans toutes les zones des pays. Les nouvelles technologies peuvent ici jouer un rôle efficace dans cette collecte, avec le potentiel de systèmes comme les paiements mobiles ou la plateforme eZwick au Ghana qui permet à ses utilisateurs d’atteindre des instruments financiers peu importe leur situation géographique. 

Cependant, la mise en place d’une fiscalité efficace nécessitera des réformes plus profondes des systèmes en place. Parmi celles-ci, l’allocation d’une part plus importante des ressources collectées aux des dépenses productives, plutôt que pour couvrir les dépenses de fonctionnement, qui représentent aujourd’hui 85% des ressources internes collectées. Enfin, pour qu’un tel système fiscal fonctionne, la confiance de la population dans le système et une gestion transparente des fonds seront des prérequis, ainsi qu’une société civile engagée et vigilante par rapport à l’utilisation des fonds. Cette évolution ne pourra se faire qu’avec des États prêts à dialoguer davantage avec leurs populations, et des populations plus regardantes sur le modèle de gouvernance de leurs États.

 

MC 

 

Comment concilier industrialisation et changements climatiques?

1172609_cop21-les-entreprises-face-au-defi-du-changement-climatique-web-tete-021458152988« Aucun pays ni aucune région du monde n’a atteint la prospérité et une vie socio-économique décente pour ses citoyens sans le développement d’un secteur industriel robuste » soutiennent les chefs d’État et de gouvernement africains lorsqu’ils adoptent le Plan d’action pour le développement industriel accéléré de l’Afrique (AIDA) lors de la dixième Conférence de l’Union africaine en janvier 2008 consacrée à l’industrialisation de l’Afrique. Or l’industrialisation rime avec exploitation intensive des ressources naturelles sans réel souci de durabilité. Comment les pays africains réussiront-t-ils à harmoniser le développement industriel avec la préservation de l’environnement et une gestion durable des ressources ?

Affronter les défis

Les économies des Etats africains subsahariens reposent essentiellement sur les secteurs d’extraction pétrolière, miniers et agricoles. Les principaux défis consistent à concilier les obligations en matière d’adaptation et  d’atténuation du changement climatique avec l’objectif d’atteindre « la prospérité et une vie socio-économique décente» à travers l’industrialisation au regard des moyens dont dispose ces pays. Contraints par les normes environnementales, ces Etats ne disposeront pas de beaucoup de marge de manœuvre pour construire un système industriel compétitif.

Un des principaux freins est le déficit d’infrastructures d’énergie et de communication qui entrave la compétitivité en augmentant les coûts de production et de transport. Ces déficits sont en partie entretenus par des difficultés liées à l’accès aux financements qui demeurent essentiels pour le développement industriel. En effet, beaucoup d’incertitudes et des risques perçus ou réels sont associés à la situation des pays subsahariens. Ils sont souvent associés à l’instabilité politique, la corruption endémique, l’absence de cadre légal, une relative fragilité institutionnelle et un manque de débouchés.

La faiblesse des systèmes financiers du continent empêchant l’éclosion d’un écosystème capable d’engendrer des champions industriels dans les pays subsahariens, le cercle est vicieux. En plus de ces éléments, l’absence d’intégration régionale effective limite la croissance d’un marché régional qui stimulerait un investissement massif dans le secteur industriel.

Par ailleurs, les grandes multinationales qui possèdent les concessions des principales mines des pays africains et contrôlent de fait des pans entiers de ces secteurs ne sont pas africaines. Ce sont des capitaux étrangers dont la vocation principale n’est pas d’offrir d’emplois aux africains ou de se soucier particulièrement de leur bien-être. Cette responsabilité qui incombe aux gouvernements doit les inciter à s’approprier le contrôle de leurs ressources en prenant une plus grande participation dans ces entreprises ou en favorisant la création des champions locaux. Les gouvernements africains sont déjà passés par toutes les phases de désillusion. Alors qu’ils n’ont pas consolidé leurs systèmes industriels naissants à l’époque post-indépendance, ils sont passés aux ajustements structurels des années 80-90 les amenant dans une dynamique de desintrustrialisation massive. Ils ont enfin le recul nécessaire pour prendre les décisions à même d’apporter plus de bien-être à leurs populations.

L’insuffisance des capacités techniques et le retard technologique ont limité la compétitivité industrielle du continent. L’une des contraintes actuelles est la nécessité de répondre aux normes internationales tant sur le plan environnemental que sur la qualité des produits. L’incapacité de certains pays africains à répondre aux normes qualitatives fixées par les pays développés le réflexe protectionniste de ces derniers qui imposent toujours plus de normes, parfois de manières déraisonnée pour protéger leurs produits sont des véritables freins au « made in Africa ».

Ces contraintes peuvent être allégées, notamment en concentrant l’effort – d’industrialisation sur des segments de valeur où le potentiel existe déjà et en consolidant un véritable marché intérieur.

Libérer le potentiel local par des approches novatrices

La voie vers un développement économique passe par un système industriel non polluant, peu générateur de carbone et basé sur des énergies renouvelables. Il est nécessaire de prendre en main les ressources naturelles et de ne plus les exporter sous forme brute mais après transformation locale. La chute actuelle des cours de matières premières qui a entrainé beaucoup de pays subsahariens dans des difficultés budgétaires accrues rappelle l’urgence de diversifier les économies africaines en captant une plus grande valeur de leurs ressources minières et agro-industrielle. Cette occasion, jusque-là manquée, peut être saisie  en tirant parti du dérèglement climatique actuel grâce à l’économie verte. Elle appelle à des transformations structurelles importantes au niveau des Etats : une transformation économique en adaptant des technologies rationnelles, écologiques aux conditions locales et en associant les savoirs-faire autochtones. Chaque pays peut, en fonction de ses ressources naturelles et humaines et dans un cadre régional harmonisé, concevoir une stratégie centrée sur leur utilisation durable et efficace. Les pays qui s’y sont déjà engagés seront fortement encouragés. Les efforts de l’Union Africaine et des institutions sous-régionales doivent être pris à bras le corps par chaque Etat et les dispositions telles que les suppressions des barrières douanières dans le marché commun correctement appliquées.

C’est en concevant des stratégies de développement durable et en orientant les actions publiques dans ce sens, que le défi de créer un système industriel robuste à même d’apporter la prospérité aux populations africaines pourra être atteint. Pour cela, il faudra innover dans les approches de réflexion tout comme celle de fonctionnement. Une meilleure approche consiste à privilégier le financement du développement industriel par un apport de sources intérieures aux pays ou au continent car cela conduirait à une meilleure appropriation locale du processus avec une meilleure chance d’atteindre efficacement les résultats escomptés.

L’investissement dans les énergies renouvelables, l’éducation et la technologie est à la base de la transformation réclamée. Il ne s’agit pas forcement de développer une industrie à forte valeur ajoutée mais de se concentrer pour chaque pays et chaque sous-région sur  des secteurs clés où les ressources existantes peuvent permettre le lancement d’un processus industriel capable de peser positivement sur le balance commercial. Le travail consiste à se réapproprier des secteurs prioritaires tels que les mines et les bois et encourager la transformation agricole locale. Il exige de se débarrasser des investissements non écologiques car les externalités négatives qu’ils engendrent annihilent tout l’effort consenti.

Pris un à un, les pays africains ne pourraient être compétitifs. C’est l’intégration régionale qui favorisera le développement d’un secteur industriel compétitif. L’industrialisation de l’Afrique dont les chefs d’Etat appellent de leur vœu passe par une approche économique verte portée par une politique de concertation régionale misant sur les ressources locales et le marché intérieur.

Djamal Halawa

Comment améliorer l’impact des IDE sur l’économie sénégalaise ?

Abstract business 3d  illustrationMalgré sa stabilité socio-politique et une position stratégique due à son accès à la mer faisant de lui une porte d’entrée privilégiée sur le continent africain et une destination sûre pour les investissements directs étrangers du fait des multiples opportunités qu’il peut offrir, le Sénégal peine à attirer les IDE comme le démontrent les chiffres. En effet, sur la dernière décennie, le flux d’IDE à destination du Sénégal s’est stabilisé autour d’une moyenne de 300 millions de dollars alors que dans des pays comparables comme la Mauritanie, ils sont passés de 101 millions de dollars en 2003 à 1126 millions de dollars en 2013[1].

Attirer les investissements étrangers est d’une importance capitale pour les autorités sénégalaises, qui misent sur le secteur privé (notamment étranger) pour atteindre les objectifs du Plan Sénégal Émergent (PSE), le nouveau cadre de gestion de la politique économique sénégalaise. En effet, une place de choix est accordée au secteur privé dans ce plan. Sur les 12 000 milliards nécessaires pour l’exécution de ce plan, les deux tiers devraient provenir du secteur privé. Ceci justifie les  efforts engagés par les autorités afin d’attirer davantage d’IDE, notamment à travers différentes réformes ; réformes qui ont permis au pays de gagner trois places au classement Doing Business de la Banque Mondiale, passant ainsi de la 156ème à la 153ème position sur les 189 pays classés. En dépit de ces efforts, l’investissement privé étranger durable ne semble pas suivre et cet engouement des autorités pour en attirer davantage suscite des interrogations quant à l’impact des IDE sur la croissance de l’économie sénégalaise mais aussi sur les stratégies mises en place pour attirer les IDE.

S’il est généralement admis sur la base de certaines études que les investissements directs étrangers peuvent entrainer la croissance économique (Seetanah et Khadaroo 2007), nombreux sont les analystes qui stipulent que la question du développement  n’est pas seulement économique mais aussi sociale car elle doit tenir compte des phénomènes environnementaux. Pour ces derniers, les investissements directs étrangers ne sont que sources de pollution pour les pays en voie de développement et ne constituent donc pas une source de développement harmonieux.

En s’inspirant du modèle de Solow[2], une analyse faite sur l'impact des IDE sur la situation socioéconomique du Sénégal[3] révèle que ces ressources, n’ont pas d’influence systématique sur la situation socio-économique du Sénégal. Deux raisons expliquent cette situation :

  •  les IDE entrant dans le pays sont faibles. En effet, le Sénégal perçoit par an en moyenne depuis 2012 au moins 300 millions de dollars au titre des IDE, un montant relativement faible comparé aux 1,2 milliard de dollars investi par l’État ou au 1,6 milliard de dollars en moyenne, perçu sur la même période par le pays au titre d’envoi des migrants ;
  •  une mauvaise orientation des IDE. L’essentiel des IDE entrants au Sénégal est investi dans le secteur secondaire et se concentre sur l’activité des entités existantes, ce qui ne se traduit pas en une amélioration systématique des performances de ce secteur ou en création d’emplois. De plus au Sénégal, la croissance économique est tirée principalement par le secteur tertiaire (65,3% du PIB en 2014)[4], alors que le secteur primaire, qui emploie 45% de la main d’œuvre[5] disponible  contribue très peu à la création de richesse. Le manque d’investissement dans ce secteur constitue donc un manque à gagner considérable pour l’économie sénégalaise.

Cependant, les résultats montrent qu’associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), les IDE ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal.

Dans ce contexte, le défi majeur aujourd’hui pour le Sénégal n’est pas tant d’entreprendre des réformes pour améliorer l’environnement des affaires et d’avoir un meilleur classement au Doing Business, mais plutôt d’améliorer les facteurs internes pour maximiser l’impact des flux intrants.

D’abord, il faudrait réorienter les IDE vers les secteurs à forts potentiels mais  qui apparaissent sous exploités. Les secteurs porteurs de croissance souffrent d’une carence en investissement privé durable, comme c’est le cas du  secteur primaire, qui est pourtant celui qui absorbe la plus grande partie de la main d’œuvre disponible

Ensuite, il faudrait améliorer la qualité de la main d’œuvre. En effet, l’État doit rendre plus efficace les dépenses publiques destinées à l’éducation et  à la santé afin de renforcer les capacités des ressources humaines tout en recherchant une adéquation entre la formation et le marché du travail. Selon les résultats du recensement général de la population de et l’habitat  (RGPH) de 2013, à peine 1 actif sur 10 au Sénégal aurait bénéficié d’une formation professionnelle, situation qui ne favorise pas  l’attractivité du pays.

Enfin, mettre en œuvre une bonne politique d’ouverture du Sénégal qui peut lui permettre de profiter des effets des IDE à l’aune de la marche de l’émergence. Pour ce faire, il faut réussir la transition fiscale en adoptant une politique fiscale plus attractive et qui favorise le développement du secteur privé.

Dans une compétition ardue entre pays en développement se disputant le volume d’IDE disponible sur le marché international, les pays qui seront moins attrayant sur le plan du climat des affaires et de l’investissement subiront la loi de la concurrence.

Mais les efforts ne sont pas à faire seulement au niveau national et doivent s’étendre également au niveau régional. Ainsi, pour renforcer les IDE dans la zone CEDEAO, zone économique à laquelle appartient le Sénégal, afin d'en maximiser l'impact sur l'économie et améliorer les conditions de vie des populations, des efforts  en terme de politiques économiques et de mesures incitatives sont à faire. Entre autres, on peut en citer :

  • la mutualisation des efforts des agences de promotion des investissements ;
  • L’effectivité d’un marché commun de la sous-région ;
  • L’adoption du code communautaire d’investissement.

En définitif, il faut retenir que : i. les IDE seuls exercent une faible influence sur la croissance économique sénégalaise, mais associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), ils ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal ; ii. les différentes politiques d'ouverture économique du Sénégal  n'ont pas eu les effets escompté sur l’attractivité des IDE. La nouvelle politique des autorités doit donc s'attacher à une mise en valeur des secteurs porteurs peut financer à l'état actuel afin d'assurer une réorientation des IDE, permettant ainsi d'accroître leur rentabilité et de positionner le Sénégal comme une terre d'opportunités.

Abdoulaye Diallo


[1] Données banque mondiale

[2] Le modele de Solow est basé sur 05 équations macroéconomiques à savoir : Une fonction de production ; Une fonction comptable sur la création d richesse ; Une fonction sur le capital ; Une fonction sur le facteur travail ; Une fonction d’épargne.

[3] Les résultats du modèle sont disponibles sur demande.

[4] Banque de France

[5] Banque mondiale

Le développement du capital humain comme facteur de croissance économique et de progrès social : cas du Sénégal

Microsofts-education-project-in-Senegal.Sur des marchés où les biens, les services, les capitaux et les technologies circulent et s’échangent librement, les ressources humaines  constituent l’un des facteurs permettant de  marquer la différence entre les performances des pays. Dès lors, la politique éducative participe structurellement à la politique économique, car  elle contribue à déterminer l’avenir à moyen terme du pays. En d’autres termes, l’éducation permet l’accumulation du capital humain ce qui stimule la productivité du travail et accélère la croissance économique – le capital humain est un est un facteur important de la croissance endogène (Robert Lucas). Au Sénégal, même si le système éducatif est considéré comme l’un des meilleurs dans la sous-région ouest africaine, il reste encore beaucoup à faire pour le rendre performant. C’est ainsi que dans le cadre du Plan Sénégal Émergent (PSE), où des réformes structurelles sont entamées et s’étalent sur la durée, le gouvernement sénégalais a décidé de construire un système éducatif capable de répondre aux exigences de développement du pays en faisant de l’éducation un point clé de ce plan. Cet article se propose de revenir sur les réformes en cours pour améliorer la qualité du système éducatif au Sénégal.

1. Un système malade de ses précédentes réformes non abouties

Toute analyse exige d’abord un état des lieux du système éducatif sénégalais. Comme dans la plupart des pays africains francophones, celui-ci a peu progressé en dépit des efforts fournis par les différents gouvernements successifs. Le monde de l’enseignement et de l’éducation sénégalais souffre toujours d’un manque criant de moyens. Et les grèves incessantes des enseignants ou des étudiants dans le but de réclamer de meilleures conditions de travail n’ont rien donné : leurs situations demeurent inchangées.

A la surpopulation des amphithéâtres causée par un système d’orientation défaillant s’ajoute un manque d’infrastructures éducatives avec la vétusté des bâtiments universitaires, sans oublier les lycées et les collèges. Ces problèmes sont davantage accentués dans les régions éloignées de la capitale du pays, c’est-à-dire le Sénégal profond, à l’exemple de la région de Matam et de Tambacounda où le manque de professeurs et d’éducateurs est devenu un problème banal au fil des années. On y note aussi un faible taux d’alphabétisation, particulièrement chez les filles. Toute politique éducative ou réforme du système éducatif doit donc prendre en compte l’ensemble  des défaillances de celui-ci. Pour remédier, à tous ces problèmes, l’état sénégalais dans le cadre du PSE a mis en place le PAQUET, un programme de réforme du système éducatif.

2. Le Programme d'Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence (PAQUET)

Le PAQUET (2013-2025) est le programme mis en place dans le cadre du PSE afin d’améliorer le système éducatif et constituera le socle de la politique nationale en matière d’éducation et de formation   . Il a été élaboré avec la collaboration de nombreux acteurs du système éducatif, tel que le ministère de l’éducation nationale et les inspections académiques, mais aussi les collectivités locales, les organisations de la société civile, les syndicats d’enseignants ainsi que les partenaires techniques et financiers. Ce programme se décompose en différents points à savoir :

  • mettre en place un cycle fondamental d'éducation de base de 10 ans ;
  • éradiquer l'analphabétisme et promouvoir les langues nationales ;
  • développer une offre d’enseignement supérieur diversifié et de qualité ;
  • renforcer l’utilisation des TIC dans les enseignements (interconnexion des établissements d’enseignement supérieur) ;
  • développer une gouvernance efficace, efficiente et inclusive du système éducatif ;
  • promouvoir la formation professionnelle orientée vers le marché de l'emploi ;
  • etc.

Certains de ces points ont déjà plus ou moins été spécifiés dans une réforme précédente, le PDEF (Le Programme Décennal de l’Éducation et de la Formation), programme qui  devait à l’origine corriger les lacunes observées dans le système éducatif. Parmi ses objectifs figuraient notamment l’introduction de l’enseignement des langues nationales dans les programmes scolaires ainsi que la mise en place des Cases des Tout-petits, un nouveau modèle de prise en charge de la petite enfance. Ces éléments apportent certes un renouveau au système éducatif, mais ne règlent pas le fond du problème : à tous les niveaux, la qualité de l’éducation demeure hétérogène et reste un privilège réservé à une  certaine partie de la population. Or, dans un pays où le nombre d’habitants augmente 2,8 % par année et le nombre d’enfants en âge d’être scolarisé progresse de façon similaire, des dispositions ou précautions plus sérieuses doivent être prises.

Ainsi, afin de faire de la mise en œuvre du PAQUET un succès, les autorités sénégalaises doivent avant tout se concentrer sérieusement  sur l’accès à l’éducation. Ceci passe par la construction de nouvelles salles de classes, l’investissement dans la formation et le salaire des enseignants, la mise à disposition de matériel didactique et l’extension de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, partout sur le territoire – des mesures qui permettraient d’améliorer la gestion de l’enseignement et de renforcer sa qualité à tous les niveaux.

3. L’adaptation de l’enseignement supérieur aux besoins du marché du travail et le recours à la formation professionnelle et continue

Il faut noter qu’aujourd’hui le pourcentage des jeunes en situation de chômage de longue durée est de 74% pour les diplômés du supérieur, 52% chez les diplômés du secondaire, 62% pour ceux qui ont le niveau primaire et 41% pour ceux qui n’ont aucun niveau d’instruction d’après les chiffres du ministère de l’éducation

Par conséquent, le gouvernement doit, d’une part identifier le secteur clé et porteur d’emploi ainsi que les domaines– et d’autre part y créer ou implanter des pôles d’excellence afin d’adapter l’enseignement supérieur au besoin du marché. De plus, dans un monde où le marché de l’emploi est en perpétuelle progression, la formation professionnelle et continue doit occuper une place importante dans le système éducatif. Plus exactement, l’objectif doit être de former les étudiants et de les préparer à des situations professionnelles futures  à travers la mise en place d’enseignements spécifiques et ciblés ou adaptés au marché local et les secteurs vers lesquels se tournent le pays à travers les réformes structurelles engagées dans le PSE. En outre, la disponibilité de ces ressources humaines, à savoir les techniciens et ingénieurs locaux, favorise le recours aux nouvelles technologies, augmente l’employabilité des individus et améliore la productivité et la compétitivité des entreprises locales.

L’Université doit également être impliquée dans le domaine de l’entrepreneuriat ou de la création d’entreprise. Et cet aspect entrepreneuriat, qui est devenu crucial de nos jours avec la tension sur le marché de l’emploi, a été négligé dans le PAQUET. En effet aucun des axes du PAQUET ne fait référence à l’entrepreneuriat. Or, aujourd’hui, l’entrepreneuriat est considéré comme un important vecteur de croissance, et cela s’explique notamment par son incidence sur l’insertion professionnelle des jeunes et la création d’emplois. Ainsi , lorsque l’enseignement comporte  un  apprentissage  à  l’entreprenariat,  les  probabilités  de  création  de  nouvelles  entreprises  et  d’exercice   d’un   travail   indépendant   s’accroissent, tandis   que   les   récompenses   économiques   et   la   satisfaction personnelle des individus ayant créé leur entreprise augmentent (Kauffman Center Charney et Libecap, 2000) .

En définitive, le rôle joué par l’éducation dans les pays en développement est très important dans le processus de développement économique et social, et ce au même titre que l’amélioration de la productivité du travail, l’amélioration de la condition de santé et de nutrition, la réduction des disparités et des inégalités entre les différents groupes de la société notamment les inégalités liées au genre, les inégalités entre les riches et les pauvres ou encore  entre zones urbaines et rurales. Mais l’éducation, plus encore, est essentielle pour réduire les inégalités en accordant plus de chances aux groupes les plus vulnérables, renforcer la cohésion sociale et pour la construction d’une société plus démocratique. De façon objective, cet objectif est réaliste au Sénégal dans les deux décennies à venir, si sa réforme éducative (le PAQUET) est menée à bon escient. A l'inverse, elle resterait un travail de Sisyphe.

Hamidou Cissé

L’Afrique dans le monde : regard sur les accords de partenariat des pays africains

1186312_omc-les-ministres-du-commerce-accouchent-dune-souris-web-0215713872161. De la diversité des accords internationaux sur le continent 

Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (AFE) : accord de Bali

La Conférence ministérielle de Bali de décembre 2013 a vu les membres de l’OMC adopter par consensus, le premier accord multilatéral conclu depuis la création de l’OMC. Il s’agit de l’accord sur la facilitation des échanges (AFE) qui n’entrera en vigueur qu’à sa ratification par les deux tiers des membres de l’OMC. Au 16 décembre 2015, 63 ratifications sur 162 avaient été obtenues. Sept pays africains ont ratifié l’accord : le Botswana, la Côte d’Ivoire, le Kenya, la Mauritanie, le Niger, le Togo et la Zambie.  L’accord est organisé en trois sections et aborde entre autres, la mainlevée et le dédouanement des marchandises, la coopération entre les organismes présents aux frontières et la coopération douanière en générale. Il prévoit en outre, des mesures relatives à un traitement spécial et différencié (TSD) qui permettrait aux pays en développement (PED) et aux pays les moins avancés (PMA) de déterminer leur rythme de mise en œuvre des dispositions et de notifier tout éventuel renfort extérieur dont ils auraient besoin. De plus, il prévoit des comités de la facilitation des échanges. Un mécanisme lancé le 22 juillet 2014 par le Directeur général de l'OMC Roberto Azevêdo, et devenu opérationnel le 27 novembre 2014, a pour objectif d’accompagner les PED et les PMA dans le processus de mise en application de cet accord.

Le rapport sur le commerce mondial 2015 entièrement consacré à l’analyse de l’AFE, estime que la mise en œuvre de l’accord aurait notamment pour effets, une hausse annuelle des exportations mondiales de l’ordre de 1000 milliards de dollar et une réduction des coûts du commerce entre 9,6% et 23,1%. Les PED et les PMA sont pressentis comme les plus bénéfiques de l’AFE. En effet, au-delà d’une réduction des coûts du commerce d’environ 16% (18 % pour les produits manufacturés et de 10,4 % pour les produits agricoles), ces pays pourront tirer un avantage significatif d’une diversification de leurs exportations en termes de produits et de partenaires, favorisée par l’accord.

Les accords commerciaux régionaux (ACR) africains

Les ACR sont des accords commerciaux réciproques entre deux partenaires ou plus. Selon les statistiques de l’OMC, les accords de libre-échange (ALE) et les accords de portée partielle représentent 90% de ces ACR, contre 10% pour les unions douanières. Les huit CER africains reconnus par l’OMC sont enregistrées et notifiées sous la forme d’ACR.

Certains Etats ou régions de l’Afrique ont conclu des accords inter régionaux avec d’autres Etats ou régions inscris à l’OMC. Ainsi, l’Union Européenne (UE) et l’Afrique du sud ont signé le 11 octobre 1999, un accord bilatéral de libre-échange portant sur les marchandises. Cet ACR reconnu par l’OMC qui est entré en vigueur le 1er janvier 2000, couvre entre autres les contingents tarifaires, les procédures douanières et les mesures relatives à la balance des paiements. La Côte d’Ivoire a également conclu avec l’UE, un ALE dont la portée et le champ sont similaires à ceux de l’accord UE-Afrique du Sud. Cet accord signé le 26 novembre 2008 est entré en vigueur le 1er janvier 2009. Il en de même pour l’accord UE – Etats de l'Afrique orientale et australe signé le 29 août 2009.

Les arrangements commerciaux préférentiels (ACPr) visant l’Afrique 

Les ACPr sont des préférences commerciales unilatérales. Les états africains bénéficient de plusieurs ACPr sous la forme d’arrangements au profit des PMA.  Entre 2002 et 2012, les PMA africains ont exporté au moins 72% de leurs produits vers des partenaires avec lesquels ils ont conclu un ACPr[1]. Ceux-ci étaient, par ordre décroissant, l’Union européenne (UE), les États-Unis, la Chine,  l’Inde et le Japon. L’UE accorde un accès de près de 100 % à son marché en franchise de droits et hors quota à tous les PMA depuis 2001. La Chine offre depuis 2010, l’accès en franchise de droits et hors quota à 60 % des lignes tarifaires à quarante PMA. L’Inde accorde un accès progressif en franchise de droits et hors quota pour arriver à 85 % des lignes tarifaires en 2012. Le Japon quant à lui, accorde depuis 2008, une admissibilité en franchise et hors quota à près de 98 % des lignes tarifaires.

Si les Etats-Unis n’ont pas conclu d’ACPr visant particulièrement les PMA, ils ont mis en place un régime unilatéral au profit des Etats de l’Afrique sub-saharienne à travers l’ « African Growth and Opportunity Act » (AGOA), loi sur la croissance et les et les possibilités économiques de l’Afrique. Cet acte promulgué le 18 mai 2000 et notifié au GATT/'OMC le 10 janvier 2001, accorde l'admission en franchise de droits aux produits relevant du code "D" dans la colonne "Spécial" du Tarif douanier harmonisé des États‑Unis, pour autant qu'ils respectent la règle d'origine applicable. 

Alors que l’AGOA venait à expiration le 30 septembre 2015, le Conseil général de l’OMC  en a autorisé la prorogation. Il s’agit de l’AGOA 2.0 dont les défis pour sa réussite, sont multiples[2].

2. Les conflits éventuels entres accords et les défis de l’Afrique face aux accords internationaux

Contradictions entre les ACR fondements des CER africains

Les accords régionaux donnent naissance à des règlements, notamment dans le domaine du commerce régional, censés s’appliquer à tous les pays les ayant signés, mais il est constaté dans la pratique que la multiplication de régimes commerciaux peut soulever des incohérences ou constituer un frein à leur efficacité. Ainsi, en 2011, la SADC, l’EAC et le COMESA avaient des Etats membres qui appartenaient aux trois organisations, mais ils appliquaient le régime commercial de l’une, aux dépens de ceux des autres. 14 membres du COMESA sur 19 obéissaient aux règles du traité de libre-échange, 4 membres sont restés au stade du droit précédent la zone de commerce préférentielle[3].  Au niveau de l’EAC, les 5 Etats membres évoluaient dans l’union douanière du CER dans le but de mettre en place un marché commun. Enfin, 12 des 15 membres de la SADC appliquaient les conditions de l'accord de libre-échange, lancé en 2008. La reconnaissance de ces chevauchements va pousser les trois CER à lancer des discussions en vue de créer une zone de libre-échange commune.

De manière générale, les traités régissant les organisations régionales montrent comment les différents régimes de droits pourraient entrer en contradiction, comme l’illustre le cas de l’UEMOA et de l’OHADA qui regroupe 17 Etats, dont 7 de l’UEMOA. Les traités de ces 2 organisations considèrent en effet que les actes arrêtés dans chaque organisation a primauté sur le droit national (article 6 du traité de l’UEMOA et art 10 du traité de l’OHADA), sans qu’il n’existe aucune mention de la primauté de l’un des deux traités sur l’autre[4]. Or, certains de leurs domaines de compétences se recoupent : l’OHADA est censé régir le droit des affaires, mais le traité de l’UEMOA autorise également celle-ci à adopter des règles lui permettant d’atteindre ses objectifs, dans le domaine des politiques économiques monétaires, sectorielles, ou le marché commun, domaines qui peuvent toucher le droit des affaires[5].

Des incompatibilités avec les systèmes internationaux

Si les organisations régionales sont encouragées par l’OMC car vues comme un moyen d’atteindre les objectifs de développement, elles doivent néanmoins respecter ses règles. En théorie, tous les Etats membres doivent appliquer le même traitement en matière commerciale aux autres Etats membres, même si en pratique les ACPr dérogent à ce principe.

La mise en place du Tarif Extérieur Commun (TEC) de la CEDEAO en 2015, a révélé comment il peut être difficile d’articuler engagements communautaires et internationaux. En effet, avant la mise en place du TEC, chaque pays membre de l’OMC s’était engagé à ne pas relever ses taux de droit de douane au-dessus d’un certain niveau, ce qu’on appelle le taux consolidé[6]. Les taux appliqués en réalité étaient souvent moindres, notamment en matière agricole. Ainsi le Nigeria avait un taux consolidé de 150% pour les produits agricoles, contre un taux appliqué de 33,6% ; le taux consolidé du Sénégal était de 29,8%, tandis que celui de la Côte d’Ivoire était à 14,9%. En appliquant le nouveau TEC de la CEDEAO fixé à 35% sur les produits agricoles, ces derniers pays se retrouvaient automatiquement au-dessus du taux qu’ils se sont engagés à ne pas dépasser[7]. Même s’ils existent des mécanismes comme le versement de compensation qui rendent possible la cohabitation des deux normes, l’on se rend compte aisément que les engagements régionaux  peuvent entrer en contradiction avec les engagements au sein d’autres systèmes.

Par ailleurs, dans la négociation des APE, l’Union Européenne semble à première vue, avoir fait preuve de plus de logique en négociant avec des groupes régionaux: Afrique centrale, Afrique de l’Est et australe, Afrique de l’Ouest, SADC et EAC. Cette multiplicité des interlocuteurs  soulève d'importantes limites : les membres du COMESA par exemple, sont répartis entre 3 groupes régionaux qui négocient séparément les termes de l’APE qui les concernent, alors que les pays du COMESA partagent un même objectif de marché commun. De plus, l’APE étant un accord réciproque (bien qu’asymétrique) entre l’UE et les pays africains, il vise à favoriser le commerce entre les deux zones en réduisant au maximum les barrières tarifaires. Même si les pays africains continuent de bénéficier de dérogations devant protéger leurs économies encore peu solides, d’une concurrence trop forte de l’Europe, l’on comprend qu’à termes, des droits de douane bas pourraient d’une part entrer en contradiction avec des règles telles que le TEC décidées par certaines régions, mais aussi être inférieurs aux tarifs pratiqués au sein d’une même organisation régionale, favorisant les échanges Afrique-Europe aux dépens des échanges intra régionaux.

Quel défi pour l'Afrique face à cette diversité d'accords ? 

Dans son rapport économique 2015 portant sur l’industrialisation par le commerce, la Commission Economique pour l’Afrique (Nations Unies), évoque l’importance voire l’urgence de la mise en œuvre des accords méga-régionaux propres à l’Afrique, pour booster son positionnement économique. En effet, les études de la Commission montrent qu’une application effective des accords commerciaux méga-régionaux non africains par nature, comme le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI), le Partenariat Transpacifique (PTP) et Partenariat Economique Global Régional (RCEP), aurait pour conséquence une augmentation d’un millier de milliards de dollars d’ici à 2020, des exportations des pays membres. A contrario, cela entrainerait une chute des exportations africaines de l’ordre de 2,7 milliards de dollars en raison de l’intensité de la concurrence et d’un attrait pour les marchés couverts par ces accords méga-régionaux. Toutefois, cette tendance pourrait radicalement s’inverser si l’Afrique se dotait de sa zone de libre-échange continentale (ZLEC), car elle verrait alors accroître ses exportations d’environ 40 milliards de dollars, ce qui s’expliquerait par une accélération du commerce intra-africain. La mise en place de la ZLEC est un projet actuel, les chefs d’Etat et de gouvernement africains se sont engagés en janvier 2012 pour l’accélération de sa mise en place à l’horizon 2017. 

Le 10 juin 2015, les chefs d’Etat et de gouvernement de la COMESA, de l’EAC et de la SADC, réunis à Sharm El Sheikh en Egypte, ont lancé la zone de libre-échange tripartite (ZLET) instaurant ainsi un marché intégré de 26 pays, d’une population de 632 millions d’habitants qui représentent 57% de la population africaine. Cette ZLET qui constitue à coup sûr une étape déterminante du processus de mise en place de la ZLEC africaine, représente aussi un PIB de 1,3 billion de dollars (2014) soit 58 % du PIB de l'Afrique. 

L'engagement des pays africains dans ces différents accords témoignent avant tout de la volonté manifeste de ces derniers de s'intégrer davantage dans le commerce mondiale et d'en tirer partie pour accélérer leur développement. Cependant, ils ne suffisent pas pour produire les effets escomptés, se constituant parfois en contraintes pour le continent. Le défi de l’Afrique désireux de bénéficier pleinement de cette ouverture sur le monde consiste notamment dans le renforcement de ses capacités de production, qui passe par la modernisation les infrastructures du commerce et la mobilisation des ressources financières.

MC


[1] Commission Economique pour l’Afrique, 2015,  « L’Industrialisation par le commerce », Rapport économique sur l’Afrique

[2] Nations Unis., Union Africaine., 2014, « Ce qui va être différent avec ‘AGOA 2.0’ »

[3] TradeMark Southern Africa, 2011, « Aid For Trade Case Story : Negotiating the COMESA ‐ EAC ‐ SADC Tripartite FTA », Pretoria

[4] IBRIGA (LM), 2006, « La juridictionnalisation des processus d’intégration en Afrique de l’Ouest », Université de Ouagadougou

[5] KONATE (IM), 2010, « L’OHADA et les autres législations communautaires : UEMOA, CEMAC , CIMA, OAPI, CIPRES etc. ».

[6] DIOUF (EHA), 2012, « Nouveau tarif extérieur commun de la CEDEAO et engagements individuels de ses membres à l’OMC: des incompatibilités surmontables », Passerelles, Volume 13 – number 3.

[7] Ibid

Pourquoi les firmes transfrontalières réussissent-elles ?

La création d’espaces transfrontaliers d’échanges intercommunautaires a été depuis longtemps les prémices du commerce international.  A l’exemple de la région genevoise entre la France et la suisse, ces espaces transfrontaliers sont convoitées par des firmes qui s’y installent pour se développer. Mais qu’est ce qui pourrait expliquer la réussite de ces firmes ? La réponse se trouve sans doute dans les opportunités que pourrait offrir une frontière. Ceci nous ramène à la question de savoir comment est-ce qu’une frontière peut-elle se transformer en zone de développement pour les firmes et le commerce ? Et aussi, comment l’Afrique peut-elle construire ce type d’environnement ?

Les firmes transfrontalières se caractérisent par leur implantation le long ou près des frontières séparant un ou plusieurs pays. Dans la théorie économique, les débats sont très florissants en ce qui s’agit du lien entre frontière et développement économique. Pour certain comme Mac Callum et Helliwell, la frontière est une ligne de démarcation entre Etats qui limite et réduit les échanges. Pour d’autres comme Judet et Courlet, les frontières représentent une opportunité de développement et d’intégration pour les pays. Bien que cela ne soit exclusif, nombreux sont les exemples dans le monde qui prouvent que les frontières peuvent apporter des éléments catalyseurs pour la réussite des firmes installées près de cette dernière et faciliter le processus d’intégration par le brassage culturel des populations qu’elle induit et ce en dépit des relations parfois eratiques des pays. Le constat est que la frontière sera d’autant plus exploitable que les firmes et les pays développeront des activités complémentaires de part et d’autre, que les firmes ne seront pas susceptibles de se concurrencer sur un même marché (exploitation d’oranges dans le MERCOSUR[1] en Amérique latine) et que les informations stratégiques circuleront. 

Les facteurs de réussite des firmes transfrontalières reposent donc sur les avantages que peut offrir la frontière et qui sont souvent liés les uns aux autres (les avantages comparatifs ; les effets de réseaux ; les effets d’agglomération ; les accords institutionnels).

Dans le contexte africain, les problèmes de pauvreté, d’enclavement des zones de production agricole, de fragilité des PME[2] et de porosité des frontières pourrait trouver solution, ou du moins en partie, à travers l’exploitation des frontières à des fins de développement économique. En effet, avec la mondialisation, la facilitation du commerce entre les pays devient un enjeu de plus en plus important pour les entreprises africaines. Selon Douillet (2012), une exploitation des frontières dans le cadre d’une intégration régionale ambitieuse apporterait autant à l'Afrique subsaharienne qu’une intégration multilatérale au commerce mondial, en termes de croissance du produit intérieur brut, du bien-être économique et du volume des exportations agricoles. En 1986, Courlet et Tiberghien notaient que la majorité des PME efficientes d'Afrique subsaharienne se trouvaient près de frontières. Par ailleurs, d’après les travaux de Judet en 1988 sur le décollage des pays émergents d’Asie, les frontières représentent une base de lancement pour les firmes car ils  limitent leur exposition aux aléas des transactions internationales et représentent un incubateur idéal pour affronter plus tard le marché international.

Pourtant,  la volonté de création d’espaces sous régionaux intégrés existe depuis les années 60. Orientés vers le libre-échange, la circulation du facteur travail, l’union monétaire, douanière et la conciliation des politiques monétaires,  ces tentatives  n’ont pas très souvent envisagé l’exploitation des opportunités qu’offrent les frontières pour un développement local qui puisse se diffuser à la nation toute entière. Associé au protectionnisme des états, ceci n’a produit que des résultats mitigés et souvent décevants en termes de création de commerce et d’accélération de la croissance économique. A partir du début des années 90, les pays africains (ceux d'Afrique sub-saharienne notamment) ont relancé le processus d’intégration régionale et des avancés majeures en termes de création d’espaces transfrontaliers qui insufflent une dynamique de développement sont en voie de voir le jour.

Pour la réussite de ces projets ambitieux, les frontières doivent être capables de créer un contexte générateur d’informations stratégiques différentes échangeables. Les communautés sous régionales africaines devront axer leurs efforts sur le développement en agglomération des localités situées près des frontières par : la construction des infrastructures de transports, le développement des activités agricoles, l’exploitation de la diversité culturelle des populations[3] vivant aux frontières, l’accélération du processus d’institutionnalisation de l’intégration régionale par des accords forts et l’exploitation des avantages comparatifs. 

Ivan Mebodo

Bibliographie

CHASSIGNET DANIEL : L'intégration transfrontalière et ses conséquences spatiales dans le Sud-Alsace. Dans : Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 113-131.

COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE : Etat de l’intégration en Afrique Juillet 2011

COURLET, CL.; TIBERGHIEN, R. (1986): « Le développement décentralisé des petites entreprises industrielles au Cameroun ». Dans : Revue Tiers Monde, XVIII, n. 107.

DOUILLET, M. 2012 «Trade policy reforms in the new agricultural context: Is regional integration a priority for Subsaharan African countries agricultural-led industrialization? Insights from a global computable general », Conference de l’International Association of Agricultural Economists, 18-24 août 2012, Foz do Iguacu, Brésil.

HELLIWELL, J. (2002): La mondialisation et le bien-être – l’effet frontière, le rôle de l’État nation et les relations économiques canado-américaines. Dans : UBC Press.

JUDET, P. (1988): « Les pays intermédiaires: des expériences à l'appui d'une réflexion moins pessimiste sur le développement », Revue Tiers-Monde, n. 115.

MAC CALLUM, J. (1995): «National Borders Matter: Canada-US Regional Trade Patterns». Dans: American Economic Review, 85, pp. 615-623.

RUFFIER JEAN : « Utiliser une frontière comme un avantage compétitif: les oranges des berges de l’Uruguay », Revista Galega de Economía, vol. 14, núm. 1-2 (2005), pp. 1-20

SCHULZ CHRISTIAN : L'agglomération transfrontalière du Pôle Européen de Développement (P.E.D.) Longwy-Rodange-Athus. Expériences et perspectives d'un programme trinational de restructuration économique. Dans: Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 133-150.

WACKERMANN GABRIEL : La mobilité des firmes et ses effets sur la population active. L'exemple de l'espace transfrontalier du Rhin supérieur. Dans: Bulletin de l'Association de géographes français, 66e année, 1989-2 (avril). pp. 103-109.


[1] Le Mercosur est une communauté économique née le 26 mars 1991 avec la signature du Traité d’Asunción. Il regroupe les pays d’Amérique latine.

[2] Les petites et moyennes entreprises sont les plus grands pourvoyeurs d’emplois dans les pays de l’ASS

[3] En Afrique, de part et d’autre des frontières communes des pays, il est très commun de retrouver des populations qui partagent de nombreuses similarités ethniques, des liens sociaux plus forts qu’avec le reste des populations des pays.

Quelle contribution des femmes africaines au développement du continent ?

cristina1Femme et africaine : un héritage social et économique de mauvais augure au regard des représentations culturelles, des réalités sociologiques et des pratiques discriminatoires en vigueur sur le marché du travail ou du capital ; pourtant les travaux[1] démontrant que l’égalité des sexes est un des piliers du développement économique de l’Afrique se multiplient.

Dans l’étude Women in Africa publiée en 2013, l’OCDE estimait que les femmes constituent 70% de la main d’œuvre agricole du continent et concourraient à la production de 90% des denrées alimentaires.  En outre, se plaçant au-delà de la moyenne recensée dans toutes les autres régions constituant l’OCDE,  les femmes africaines produisent 61,9% des biens économiques. Cette production majoritairement informelle, agricole et non salariée donne lieu à une segmentation du marché du travail africain et à une sous-représentation record des femmes dans le salariat et le secteur non agricole (8,5% à l’échelle du continent). Ce constat est d’autant plus alarmant que la tertiarisation de l’économie africaine – reposant sur l’essor des secteurs du numérique, des télécoms ou des services financiers – pourrait conduire à un phénomène de progrès technologique biaisé[2] en défaveur des femmes peu investies en capital humain.

Les barrières à l’entrée sur le marché du travail dont souffrent les femmes sont de plusieurs natures et ont déjà été analysées au prisme de la morale, de la culture ou des droits fondamentaux. Toutefois, force est de constater que par-delà ces considérations légitimes et incontestables ; l’Afrique n’a également aucun intérêt économique à se passer de la compétence de plus de la moitié de sa population dans les secteurs secondaires et tertiaires. Une défaillance des institutions et du marché peut contribuer à expliquer l’éviction nuisible des femmes dans les secteurs secondaire et tertiaire.

Le présent article proposera d’abord un panorama du cadre institutionnel régissant l’activité économique des femmes en Afrique, en revenant sur les mesures entreprises pour l’améliorer ; puis discutera les limites de ces politiques publiques et les perspectives d’évolution.

Qualifiées ou non, les femmes africaines contribuent à la croissance du continent malgré de nombreux obstacles structurels 

La plupart des études montrent que les échanges internationaux ont un impact négatif mais faible sur l’emploi. Ce solde négatif se concentre principalement sur les emplois les moins qualifiés, majoritairement occupés par les femmes en Afrique. A titre d’exemple, d’après l’INSEE en 2011, les échanges industriels de la France avec les PED ont abouti à un déficit de 330 000 emplois. Sans investissement urgent dans la main d’œuvre féminine peu qualifiée, les Etats africains risquent donc de voir croître le taux de chômage alors même que le volume d’investissement dans les secteurs porteurs de croissance augmente. L’éviction des femmes non qualifiées sur le marché du travail formel ne se traduit pourtant pas par une inactivité totale mais donne lieu à un renforcement du marché informel qui s’accompagne parfois de succès sur le long terme comme le montre l’exemple des « Nana Benz » togolaises ayant fait fortune dans le commerce informel des tissus wax de la période coloniale aux années 2000[3].

Concernant les femmes qualifiées, les barrières sont majoritairement d’ordre institutionnel et juridique. En effet, le code familial en vigueur dans plusieurs Etats africains génère des distorsions économiques nuisibles à l’efficacité des marchés en limitant la répartition équitable des parts d’héritage entre descendants féminins et masculins lors des successions ou en restreignant l’accès des femmes au crédit bancaire. En outre, l’iniquité des droits de propriété foncière constitue une entrave à l’entrepreneuriat des femmes et évince un grand nombre d’entre elles des différents marchés. L’imperfection du marché du travail et le faible accès à l’offre de capital génèrent une asymétrie entre les femmes et les structures demandeuses de main d’œuvre en mesure de fixer des salaires nominaux dérisoires. Pour faire face à cela, les entreprises de micro-crédit se sont développées à destination des populations les plus vulnérables et les plus éloignées du secteur bancaire comme le démontre la chercheuse Annelise Sery dans Le micro-crédit : l’empowerment des femmes ivoiriennes.

Réfondre le cadre institutionnel de l’activité économique des femmes africaines

Conscients du danger que constitue l’éviction des femmes, plusieurs Etats Africains ont initié un débat sur la parité. Ainsi, le 14 mai 2010, l’Assemblée nationale sénégalaise adoptait-elle une loi de parité homme-femme dans les listes électorales dans un pays où les femmes représentent 52% de la population. Cette nouvelle donne électorale devrait permettre une refonte du code familial. Par ailleurs, au Maroc dont la Constitution de 2011 s’engage à lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe, la ville de Marrakech a abrité au mois de novembre 2014 le Global Entrepreneurship Summit visant particulièrement à promouvoir les activités économiques régionales et locales des femmes.  En effet, si ce  pays est actuellement  un moteur de la croissance africaine ; la participation des femmes à l’économie avait pourtant drastiquement chuté de 30% en 1999 à 25% en 2012[4]. L’article 19 de la Constitution marocaine de 2011 n’a certes pas supprimé les inégalités économiques mais a contribué à mettre en lumière le débat sur la parité, qui s’est notamment institutionnalisé avec la création de la Haute Autorité de la Parité.

Enfin, le développement du micro-crédit  doit être  développé et encadré afin de permettre l’essor d’une protoindustrie permettant aux mères de famille de travailler à domicile, tout en entraînant  l’ensemble du système bancaire africain dans un cercle vertueux profitable tant aux actionnaires qu’aux populations vulnérables telles que les femmes. Transnationaux et échappant aux impératifs religieux et culturels limitant le droit des femmes dans les différents Etats africains, les organismes internationaux bancaires et financiers ont un rôle à jouer dans le renforcement de la participation des femmes à l’économie du continent. A ce titre les initiatives telles que celle imaginée par la Banque Africaine de Développement en octobre 2010, consistant à créer un « prix féminin de l’innovation en Afrique » ne doivent pas rester lettre morte mais donner lieu à des réalisations concrètes et volontaristes pour encourager l’entrepreneuriat féminin.

Pour l’heure, les femmes peu qualifiées sont le pilier de la production agricole en Afrique. Toutefois les perspectives de croissance et la tertiarisation des économies nationales rendent urgente la suppression des barrières l’entrée sur les marchés du travail secondaire et tertiaire auxquelles font face ces-dernières. Ainsi, une politique volontariste de refonte des codes familiaux et d’équité de l’accès au crédit bancaire doit être initiée à l’échelle du continent. Enfin, les initiatives émanant de grands organismes internationaux et visant à promouvoir l’entrepreneuriat féminin permettront à l’Afrique de se doter de leader femmes et d’accroître la parité au sein des milieux dirigeants.

Daphnée Sétondji


[1] Cf Women in Africa publié par le Centre du Developpement de l’OCDE.

[2] Etude de Katz et Murphy en 1992 Changes in relative wadges, 1963 -1987 : supply and demand factors

[3] Cf Travaux de Amselle en 2001.

[4]Word Bank Poverty, adjustment and growth, Royaume du Maroc 2013. 

Le mythe du péril Jaune

chine_afrique_info-afrique_com_Souvent nous entendons crier au loup lorsque l’on évoque l’arrivée massive des Chinois sur le continent africain. Voleurs de ressources, aucun transfert de technologies, racisme, xénophobie sont quelques traits de pinceaux de la toile asiatique en Afrique telle que présentée en Occident.  Au quotidien, s’il est vrai que certains de ces maux comme la question épineuse du transfert de technologie s’appuient sur des faits concrets, le reste relève souvent du pur fantasme, ou d’opérations de guerre psychologique destinées à dénigrer l’image de la Chine en Afrique et ceci non pas au profit des Africains mais d’autres partenaires. Le but de cet article est d’illustrer les incohérences de la critique occidentale envers la Chine tout en démontrant que la coopération sino-africaine pourrait être bénéfique au continent.

Les Africains devraient regarder avec ironie les occidentaux parler du pillage des ressources naturelles africaines. Dans les faits, l’Europe et l’Amérique reçoivent plus d’investissements chinois que l’Afrique au  point où la Chine a une réserve de change de 3 400 milliards de dollars, soit plus que les Etats-Unis eux mêmes, alors que l'Afrique a servi depuis les indépendances de fournisseur de matières premières pour les industries de ces continents. Si l'on considère que les africains ne parlent pas chinois et que le français et l’anglais sont les langues les plus répandues, il est évident que les entrepreneurs africains jettent leur dévolu sur les pays anglo-saxons ou la France. Ceci dit, les chinois réussissent en Afrique du fait de leur approche gagnant-gagnant. L'illusion win/win apparaît bien plus crédible avec les chinois. L’or du Congo va en Suisse sans traçabilité, le cacao ivoirien alimente les marchés belge et français avant, pendant et après les crises qu’a traversées le pays. Certains pays qui critiquent aujourd’hui la Chine font donc preuve d’une conscience sélective, qui à défaut de produire une critique pertinente, permet de révéler les dessous des guerres économiques sur le continent africain. Au Cameroun, le palais des sports a été construit par les chinois. Dans un pays où le sport et la culture étaient en crise, cet édifice à tout simplement changé le visage de la capitale et redonné un nouvel élan aux évènements pour promouvoir la culture locale et l'épanouissement de la jeunesse. La coopération sino-africaine est critiquée sur la base de plusieurs problématiques propres à presque tous les projets de coopération. Il convient donc de prendre avec beaucoup de prudence tous ces discours qui tentent de "dramatiser" l'importance de la coopération sino-africaine.

La question du racisme :  Les chinois seraient foncièrement racistes, selon leurs détracteurs. Pour comprendre cette question, il faut s’intéresser à la culture chinoise. La Chine est un pays organisé en provinces ayant chacune leurs propres réalités culturelles. Les langues y diffèrent d’une province à l’autre, au point où deux chinois parlant chacun la langue propre à leur province peuvent avoir beaucoup de difficultés à se comprendre. En outre, l’immense majorité des chinois vit encore dans des zones rurales où l'ouverture sur le reste du monde est nécessairement plus ardue. Le comportement face à l'étranger ne sera par conséquent pas le même selon le lieu de provenance du chinois. Même du point de vue ethnique, les Hang sont d'une classe sociale bien plus élevée que celle du chinois moyen. Les ouvriers et les chefs de chantiers présents en Afrique sont de deux univers différents. Les chinois qui négocient les contrats avec les Etats appartiennent essentiellement au parti au pouvoir et font partie d'une élite de "Laoban”, qui peut sembler hautaine voire raciste, et ce envers leurs compatriotes. Certes les chinois ont un comportement plus que critiquable sur le terrain envers leurs collaborateurs locaux, les insultes et les brimades sont monnaie courante. Ceci dit, le problème n'est pas propre aux chinois mais bien à la plupart des chantiers issus de la coopération et dirigés par des étrangers en Afrique. Beaucoup d'ouvriers chinois en Afrique sont en réalité des prisonniers payés au lance-pierre. La solution n'est donc pas de ne plus travailler avec les chinois, sinon il faudrait aussi cesser de travailler avec presque toute l'Union Européenne mais plutôt de réformer les conditions de travail sur les chantiers de ce type.

Le transfert de technologie : L'une des tares de la coopération entre l'Afrique et la Chine  est le manque de transfert de technologies. Les chinois ont en effet tendance à faire venir des ouvriers chinois et à conserver toute la technicité liée à l’exécution de leurs marchés. L'idée étant de créer une dépendance du pays hôte pour la maintenance du site. Le fait est que transfert de technologie ou pas, du point de vue des africains, les chinois ont une approche bien plus concrète. Des ponts et des routes, des immeubles, des hôpitaux sont rapidement construits. Les africains voient les chinois travailler sur leur terre de jour comme de nuit, dans les mêmes conditions et manger les même repas. Automatiquement des questions qui peuvent paraître centrales comme le transfert de technologie deviennent périphériques pour des raisons sociales. Les Africains passent des marchés en un mois avec les chinois, là où les pays occidentaux peuvent passer des années pour des raisons bureaucratiques. Les prêts sont accordés aux Etats africains par les banques asiatiques sur la seule base d'intérêt économique tandis que les banques occidentales ou des organisations comme la banque mondiale tentent d'imposer leur vision de la société et des droits de l'homme en échange de financement. La question du transfert de technologie pose aussi un problème avec les partenaires occidentaux. Sur les contrats gérés par des partenaires occidentaux, l'essentiel des postes à responsabilité est confié aux expatriés. Les locaux restent donc là aussi dans une position d'exécutants. Comme avec le problème du racisme où le souci  ne vient pas uniquement des partenaires mais aussi de l’incapacité des africains à négocier les termes de la collaboration.

La question des investissements : L’Europe et les USA mettent en garde l’Afrique contre les investissements chinois alors qu’eux mêmes en profitent assez bien. Près de la moitié des investissements chinois – environ 46 % en 2010 – a été réalisé en Asie. En 2012 l'Europe a récupéré 86% des investissements industriels chinois dans le monde. Les projets d’investissements tels que l'USAID censés soutenir des projets de développement se sont transformés en soft power. Le soft power peut être défini comme une forme d'influence indirecte qui permet à des Etats ou des organisations de gagner en puissance sur le terrain apparemment déserté mais pourtant hyperactif de la culture. A l'heure de la mondialisation et d'internet, la puissance ne se mesure plus seulement à la portée des missiles mais aussi à la portée de la culture et de la vision du monde. Les américains par exemple se servent du Young Leader Program pour transformer des jeunes africains, de 25 et 35 ans, à très fort potentiel en futures portes d'entrée de l'Amérique sur l'Afrique sous couvert de formation dans les plus grandes universités américaines. Lorsque Barack Obama parle des jeunes leaders africains rencontrés, il ne s'agit pas de jeunes pris sur la seule base de leur mérite. L'immense majorité sinon tous faisaient partie du Young Leader Program. Autrement dit ce sont des jeunes africains fortement américanisés du point de vue culturel, qui ne gardent somme toute de l'Afrique que leur passeport. La contre-attaque Chinoise ne s'est pas faite attendre avec les instituts Confucius. Aujourd'hui au Cameroun et ailleurs en Afrique, on trouve des jeunes africains qui chantent l'hymne chinois en cours. Pour s'assurer une place de choix en Afrique dans les prochaines décennies, la Chine a misé comme les autres partenaires de l'Afrique, sur  la conquête des esprits. Ainsi CCTV diffuse en français des informations en continu sur la Chine. La chaîne a su trouver un écho favorable en Afrique et présente la Chine sous son meilleur jour. Les concurrents de la Chine ont eux aussi des armes culturelles en Afrique, notamment le Japon avec NHK world et l'Allemagne avec l'Institut Goethe. Enfin selon le cabinet d’avocats d'affaires internationales Linkslaters le Japon investit trois fois plus que la Chine en Afrique. Le rapport précise que « sur les 4,2 milliards de dollars que les pays asiatiques ont investis durant l'année écoulée dans la réhabilitation des routes, l'adduction d'eau, le déploiement de réseaux d'assainissement et la construction d'oléoducs et de gazoducs, les  investisseurs japonais ont apporté 3,5 milliards de dollars ».

Somme toute, la Chine n'est en Afrique qu'un partenaire comme tant d'autres avec une approche, des objectifs et des pratiques différents, qui ont permis à plusieurs pays du continent de se doter d'infrastructures assez rapidement, contrairement à ce qui a longtemps été observé avec les partenaires classiques. Loin de nous constituer en défenseur de certains comportements parfois inacceptables des entrepreneurs chinois en Afrique, il faut préciser ces comportements sont souvent soulignés dansle but de conforter la position de partenaires depuis longtemps installés sur le continent et qui s'inquiètent face à l'importance de la Chine dans l'environnement économique africain. De part son embellie économique et les opportunités qu'elle offre, l'Afrique est aujourd'hui au coeur de toutes les convoitises et devient donc le terrain de guerres économiques. Dans ce contexte et dans le contexte actuel marqué par une forte volonté des peuples africains à se développer, il est impératif que les pays africains développent une réelle capacité en matière de négociations afin de tirer meilleur parti de leurs partenariats.

William Ndja Elong

Migration et transferts financiers, enjeu de développement : cas du Sénégal

okLa migration, conséquence de la répartition inégale des richesses dans le monde. Tout au long de l’histoire de l’humanité, les mouvements migratoires n’ont cessé de se succéder et semblent toucher tous les continents du monde. Ces migrations, lorsqu’elles ne sont pas forcées, résultent directement de la répartition inégale des richesses, qui poussent les personnes à aller là où sont ces richesses. Selon certains auteurs, la volonté et la capacité d’émigrer à l’étranger résultent à la fois de la personnalité et de la situation socio-économique du candidat migrant, des circuits d’informations auxquels il a accès, des réseaux migratoires, des contextes politiques et économiques des pays d’origine et d’accueil et de leurs rapports historiques. En effet il est certain que la distribution des hommes à la surface de la terre résulte pour une large part des grandes migrations qui se sont déroulées le plus souvent sur de longues périodes.

De tout temps, les géographes ont été fascinés par les emplacements des hommes et des civilisations. Toute l’histoire du monde n’est qu’une suite de nomadismes, de conquêtes, de migrations. Les hommes ne sont que mobilité étrange paradoxe que de rêver à la fois aux racines et à la route. Ces flux, objets géographiques ne sont que devenir. Dans leur ampleur, l’audace de leur avancée, dans leurs échecs et leurs reculs, se joue l’éternel équilibre entre le possible héritage du passé et l’anticipation de l’avenir. Ces migrations toujours renouvelées ont marqué l’espace aux cours des siècles et les géographes n’en ont pas toujours retenus la même image  (Bonnamour, in Gonin P et Charef M,  2005).

Comme toute espèce animale, l’homme se déplace continuellement dans l’espace. Ses déplacements ne sont pas aléatoires, ils sont dictés par ses besoins et ses aspirations, et par le jeu des contraires et des potentialités du milieu géographique dans lequel il vit (Noin D, 2001)

Soit les hommes vont là où sont les richesses, soit les richesses sont là où sont les hommes. Les migrations sont donc une expression courageuse de la volonté qu’ont les individus de surmonter l’adversité pour vivre mieux  (Annan K, 2006).

A l’échelle mondiale, les migrations sont devenues partie intégrante des politiques et stratégies de développement, aussi bien dans les pays d’origines que dans les pays d’accueil. D’après les chiffres de l’ONU (2005), le nombre de migrants a presque doublé en 20 ans. En 2005, 191 000 000 de personnes vivaient hors de leurs pays d’origine (OCDE, 2005).

Au Sénégal, les effets des sécheresses vont se combiner à ceux des PAS[1] pour favoriser le développement de l'émigration qui va connaître de forts changements dans ses modalités et dans sa géographie. En effet, l'émigration est une pratique de longue date qui a fortement marqué l’évolution des sociétés sénégalaises. Amorcé par les habitants de la vallée du fleuve Sénégal, le mouvement migratoire était d'abord et durant longtemps saisonnier ou temporaire (« navétane[2] » ou « noorane ») avant de gagner des destinations lointaines (émigration vers les pays frontaliers ou de la sous-région).

En effet, la migration sous régionale est une conséquence directe de la crise économique qui touchait les territoires ruraux (sécheresses). Les populations du bassin arachidier se déplaçaient  pour chercher du travail. Les jeunes qui avaient la force de cultiver la terre convergent vers les grandes villes et finissent par un abandon massif des activités agricoles. L’idéal est la recherche d’une meilleure condition de vie à travers une migration régionale dans un premier temps, puis vers une migration internationale dans une seconde étape.

Au Sénégal, près de 100 milliards de FCFA sont transférés chaque année et ce chiffre ne concerne que les canaux officiels[3] de transfert. L'utilisation de ces revenus et leurs impacts dans les zones de départ prennent des formes variées induisant des changements plus ou moins notables. Ainsi ces impacts sur le milieu doivent être recherchés et analysés dans leurs dimensions tant économiques et sociales, que géographiques.

En plus, l'​’apport des migrants internationaux est indéniable dans les transformations de l’habitat (Tall 1994) et la reproduction des groupes domestiques (Blion, 1998). Beaucoup de villages de la vallée du fleuve Sénégal par exemple dépendent, en partie, des envois d’argent venus de l’extérieur. Cependant, la variation des points de vue et des lieux d’études incite à relativiser le rôle de premier plan attribué aux migrants internationaux dans leurs villages d’origine. Dia (H), 2008. 

Il est alors légitime de se demander dans quelle mesure les transferts financiers contribuent-ils au développement ? En effet, les émigrés investissent dans leurs localités d’origine mais participent également à l’entretien de leurs familles par le biais des envois financiers. La priorité accordée à l’amélioration des conditions de vie de la famille du migrant montre à quel point les transferts migratoires sont nécessaires à la satisfaction des besoins élémentaires des ménages. Cette destination est, rappelons-le, le dénominateur commun des motifs de départ et d’envoi d’argent de la plupart des émigrés.

L’impact des transferts d’argent des migrants sur leurs pays d’origine a, depuis une dizaine d’années, fait l’objet d’un grand nombre de travaux à la fois théorique et empiriques. Quelle que soit l’approche adoptée, l’un des effets positifs des transferts d’argent des migrants sur lesquels il y a l’unanimité est l’impact sur la pauvreté. Car c’est le lien le plus tangible et le moins controversé des liens entre migration et développement (Ratha, 2007). L’effet le plus senti est l’augmentation des ressources des ménages, le lissage de leurs dépenses de consommation et des effets multiplicateurs de celles-ci sur l’ensemble des revenus (Gupta, Pattillo et Wagh 2007).

Au Sénégal, la seule étude qui montre à notre connaissance les impacts de transferts sur l’économie est celle effectuée par la DPEE[4]. Le tableau suivant récapitule les résultats de l’étude sur les effets des transferts sur les dépenses par tête et sur l’incidence de la pauvreté.

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Le tableau montre en particulier que les transferts accroissent de près de 60% en moyenne les dépenses par tête des ménages qui en sont bénéficiaires, ce qui réduit de près d’un tiers (30,7%) l’incidence de la pauvreté au plan national.

Le soutien apporté au budget familial par les envois d’argent des migrants constitue une forme d’assurance contre la précarité des conditions de vie des bénéficiaires et l’instabilité de l’environnement macroéconomique. Mais, étant donné l’importance et la régularité des transferts de fonds, comparés aux propres capacités de création de richesses et aux revenus personnels d’un grand nombre de ménages bénéficiaires, ce rôle finit par installer ces derniers dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette ressource. Une fois mise en place, la relation de dépendance devient même réciproque, elle place aussi le migrant dans l’obligation de subvenir régulièrement aux besoins de consommation courante des membres de la famille. Si le migrant tient compte de l’urgence des problèmes à résoudre, sa capacité d’épargne et d’investissement personnelle peut s’en trouver largement entamée. En l’absence d’un contrôle par le migrant de l’utilisation finale de ses envois d’argent, même les transferts destinés à financer ses projets personnels ne sont pas à l’abri d’un « détournement » au profit de besoins jugés plus urgents.

La situation s’apparente à celle que les économistes, à la suite de Keynes, appellent la « trappe à liquidité »[5]. On peut la décrire de la manière suivante : en présence d’envois massifs d’argent, tout flux supplémentaires de transferts est, faute d’utilisation productive, rapidement englouti dans le budget familial, avec la certitude de recevoir d’autres envois aux prochaines échéances. En raison des anticipations des destinataires les flux de transferts servent ainsi à entretenir les comportements de dissipation des ressources de la part de ces derniers.

La spirale pauvreté-migration-transferts-pauvreté fonctionne d’autant mieux que le lien de dépendance se double d’un contrat d’assurance entre le migrant et sa famille d’origine. Elle ne s’emballe lorsque les transferts ne se limitent plus seulement à lisser les dépenses de consommation du ménage bénéficiaires, mais transforment et diversifient également ses besoins de consommation.

Ba Cheikh

Références :

Gupta (S), Patillo (C), 2007a, « L’impact bénéfique des envois de fonds sur l’Afrique », Finances et Développements, pp.40-43.

Noin (D), Géographie de la population, Paris, Masson, 3e édition, 281p.

OCDE, 2005 « Migration, transfert de fonds et développement ».

Ratha (D), 2007: www.worldbank.org/prospects/migrationandremittances.

Diop (A), 2008, Développement local, gouvernance territoriale, enjeux et perspectives, éditions Karthala, 85p.

Diop (M.C.), Mars 2012, La Société sénégalaise entre le local et le global, collection hommes et sociétés, éditions Karthala, 728p.


[1] Programmes d’ajustements structurels

[2] Les Navétanes sont des migrants saisonniers d'Afrique de l'Ouest, notamment au Sénégal et en Gambie. Ces vastes déplacements de population, souvent en provenance de Guinée, étaient généralement liés à la culture de l'arachide.

[3] A part la voie formelle pour transférer de l’argent, il existe une autre forme pour envoyer des fonds au Sénégal, cette forme se traduit par une organisation informelle des transferts.

[4] Direction de la Prévision et des Etudes Economiques

[5] Mise en évidence par Keynes et vulgarisée par Hicks, la « trappe à liquidité » désigne une situation où le taux d’intérêt tombe si bas que tous les agents économiques s’attendent à ce qu’il augmente. Leur préférence pour la liquidité devient absolue et toute augmentation de la masse monétaire devient sans effet sur l’activité réelle

Pourquoi la RDC doit mieux faire

La 10ème édition de la Conférence Economique Africaine s'est déroulée à Kinshasa du 2 au 4 novembre 2015 en République Démocratique du Congo (RDC). C'est à cette occasion que Son Excellence Monsieur le Premier Ministre Augustin Matata Ponyo a présenté l'économie de la RDC dont les performances interpellent notre sagacité. Le fait le plus spectaculaire de sa description est l'évolution du PIB par habitant de la RDC, une mesure du niveau de vie moyen, de 1990 à 2014. Le graphique, reproduit ci-dessous, montre un effondrement drastique du niveau de vie de la population congolaise entre 1990 et 2001, avec un revenu par habitant divisé par deux, partant d'un niveau exceptionnellement bas.

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De l'avis du premier ministre, cet effondrement s'explique par la guerre civile qu'à connu le pays pendant cette période. Mais depuis la fin de la guerre, avec l'arrivée au pouvoir du président Joseph Kabila, le niveau de vie a rebondi pour retrouver en 2014 presque son niveau du début de la guerre. Ce rebondissement s'est accompagné d'une réduction de 15 points de pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Il s'agit là d'un progrès saisissant que le premier ministre explique par un leadership fort du chef de l'Etat et une bonne gouvernance. Il résume cette explication dans une équation, seule conclusion de sa présentation :

RP   = LF + BG

Cette équation relie la réduction de la pauvreté (RP) à un leadership politique fort (LF) et à une bonne gouvernance (BG). On peut dénoncer une posture politique et ignorer tout simplement cette équation, mais à tort car elle possède deux qualités. D’une part, elle émane d'un responsable politique ayant été au cœur de l'exécutif congolais pendant et après la guerre civile, ce qui lui confère un fondement tiré de l'expérience.[1] Dès lors, la contribution du leadership du chef de l'Etat à la réduction de la pauvreté mériterait d'être mieux prise en compte par les analystes du développement. D’autre part, cette équation a l'avantage d'être ancrée dans la théorie économique du développement car la bonne gouvernance représente la composante institutionnelle des modèles de Solow augmentés.[2] Cependant, la principale question qui se pose est de savoir si les performances économiques récentes de la RDC sont effectivement dues au Leadership Fort du chef de l'Etat et à la Bonne Gouvernance.

Les performances économiques de la RDC sous une perspective historique et régionale

Lorsqu'on considère le niveau de vie de la RDC sous une perspective historique, on s'aperçoit très vite que ce pays vient, non pas de loin mais, de très haut. Comme le montre le graphique ci-dessous, le niveau de vie après les indépendances était d'environ quatre fois supérieur au niveau actuel, et comparable à celui de la Malaisie et de la Corée du Sud. Il évoluait à un rythme annuel de 1% en dépit de l'instabilité politique ayant caractérisée la période post-indépendance. Cette tendance a malheureusement fléchi suite au choc pétrolier de 1974. La chute du niveau de vie s'est aggravée avec la mise en place des programmes d'ajustement structurel, combinée aux turbulences politiques du fait de la gouvernance par feu Mobutu. C'est dans cet état de déclin qu'éclate la guerre civile congolaise. Chacun de ces épisodes a contribué à dégrader le niveau de vie des congolais, plongeant la majorité de la population dans le dénuement total, avec plus de 9 congolais sur 10 qui vivaient en dessous du seuil de pauvreté extrême, fin 2004.

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Avant la guerre civile, les deux épisodes de baisse du niveau de vie des congolais résultent à la fois d'une mauvaise gouvernance politique et économique du pays : d’une part, le système de parti unique avec les dérives liberticides qui s'en suivent et d’autre part, le recours excessif à l’impression de billets de banques pour financer les dépenses excessives du régime politique.[3] Les performances économiques depuis 2001 ont, pour l’instant, permis de retrouver le niveau de vie atteint juste avant la guerre civile, bien en dessous de celui qui aurait été atteint si la tendance post-indépendance s’était poursuivie, soit 4 fois le niveau de vie actuel.

Par ailleurs, en comparant les performances économiques de la RDC à celles du reste de l'Afrique Subsaharienne, il ressort que le niveau de vie dans ce pays suit la même tendance (à la hausse) que celle du reste de la région, cependant de façon moins prononcée. L’augmentation du niveau de vie depuis 2001 n’est donc en aucun cas une spécificité congolaise. Par conséquent, l'explication des performances économiques de la RDC accompagnée d’une réduction de la pauvreté se trouve moins dans le leadership du chef de l'Etat ou dans la bonne gouvernance.[4] Les performances économiques soutenues du pays proviennent plutôt de la hausse des cours des matières premières depuis 2001, comme le montre le graphique ci-dessous : les cours du pétrole et du cuivre, deux principaux produits d'exportation de la RDC, ont été respectivement multipliés par quatre et trois sur cette période.[5]

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Le plus important n'est pas tant la justesse de l'explication du premier ministre, mais plutôt les conséquences d'un prochain effondrement des cours des matières premières comme cela s'observe depuis fin 2014.[6] Si cette tendance se poursuivait, alors l'histoire de la RDC risquerait de se répéter. Il faudra donc miser sur une amélioration rapide et effective de la bonne gouvernance et du leadership des responsables publiques pour que l'équation de S.E.M Matata Ponyo devienne opérationnelle, car avec ses ressources naturelles et humaines la RDC peut et doit mieux faire.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Voir le parcours du premier ministre sur sa page Wikipédia.

[2] Le modèle de Solow de base exprime le revenu par tête comme une fonction des investissements dans l'appareil productif et du capital humain. Dans sa forme augmentée, il intègre une composante multiplicative caractérisant la qualité des institutions.

[3] Au sujet du seigneuriage, voir Nachega (2005). « Fiscal Dominance and Inflation in DRC », IMF Working Paper, WP 05/221.

[4] Il suffit d'ailleurs de se référer à l'indice Mo Ibrahim de gouvernance de la RDC. Le pays occupe en 2015 le 48ème rang sur les 54 pays, dans un statu quo depuis 2000.http://www.moibrahimfoundation.org/iiag/data-portal/

[5] La pauvreté peut avoir effectivement baissé en raison du regain de l’activité économique, réelle, mais peu durable.

[6] Voir l’abaissement des perspectives de croissance économique de la RDC par le FMI entre Avril et Octobre 2015.